Cinema
Cannes 2019, ACID « L’Angle mort » — De l’inconvénient d’être invisible

Cannes 2019, ACID « L’Angle mort » — De l’inconvénient d’être invisible

17 May 2019 | PAR Julia Wahl

A la manière d’un nouveau Passe-Muraille, le film de Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard, sélectionné par l’ACID, met en scène un homme en train de perdre un don étrange : celui de devenir invisible.

Disparition de l’anneau de Gygès…

Il s’agit d’un pouvoir dont on a tous rêvé : celui de devenir invisible et de pouvoir ainsi épier ses voisins. Ce don de super-héros, Dominick et Richard en ont abondamment profité. Seulement, avec l’âge, comme chacun sait, le corps répond de moins en moins bien. Il en est de même de l’invisibilité : le pouvoir s’use, et son utilisation est de plus en plus douloureuse.

Sur cette idée d’Emmanuel Carrère, Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard ont choisi de nous présenter Dominick, interprété par Jean-Christophe Folly, un homme mal à l’aise avec cet étrange pouvoir : être invisible, c’est bien à quinze ans pour mater les filles, mais à trente-huit, cela n’a plus grand intérêt. Sinon celui de rendre sa vie sociale et amoureuse infiniment plus compliquée que celle des autres.

… et immixtion du merveilleux

Le spectateur suit donc ce personnage en perte de repères, pour qui la disparition de ce qui lui paraissait une malédiction s’apparente aussi à une dilution de son identité. Il part alors autour de la place des Fêtes dans une quête de ce que signifie voir, ce sens étrange qui fait défaut à sa si jolie voisine, jouée par Golshifteh Farahani. La rencontre avec la malvoyante est pour le personnage comme pour le spectateur l’objet d’une réflexion sur le rapport entre les cinq sens, mais aussi d’une réactivation du mythe antique selon lequel l’aveugle voit ce que les autres ne voient pas.

L’Angle mort, avec ses images quasi-documentaires du Paris populaire, nous plonge en effet dans un monde où la frontière entre réalité crue et événement merveilleux est ténue. Ainsi en est-il de ce forain, qui monétise son don en le produisant sur scène, sous couvert de « trucs » de prestidigitateur : son invisibilité n’est socialement admise que parce qu’on la croit feinte, réduite à un spectacle pour enfants.

Un casting pluriel ?

Derrière cette « philosophie » séduisante se cachent néanmoins quelques facilités. Ces jeux sur le voir et le vu, l’être et le paraître, sont assez attendus et le film ne renouvelle pas leur approche. Quant à la distribution, si les réalisateurs peuvent s’enorgueillir d’offrir un rôle a priori pas trop marqué chromatiquement à un acteur noir, ce casting leur fait toutefois ouvrir le film sur une représentation somme toute assez stéréotypée des fêtes afro. Et force est d’admettre que sa couleur de peau, loin d’être « invisible », est mentionnée à plusieurs reprises dans le film. En bref, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le rôle de Jean-Christophe Folly est bien un rôle de Noir.

Saluons néanmoins un casting relativement éclectique, qui permet notamment à Claudia Tagbo et Richard Sami Ameziane, alias le comte de Bouderbala, de croiser Isabelle Carré et Golshifteh Farahani. Et surtout, de nous étonner par leur jeu sobre et douloureux.

Visuel : ©ACID

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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