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[Interview] Sandrine Bonnaire, Marie-Castille Mention-Schaar, Emilie Frèche, Noémie Merlant et Dounia Bouzar pour Le Ciel Attendra

[Interview] Sandrine Bonnaire, Marie-Castille Mention-Schaar, Emilie Frèche, Noémie Merlant et Dounia Bouzar pour Le Ciel Attendra

06 October 2016 | PAR Gregory Marouze

Après Les Héritiers (qui retraçait l’histoire vraie d’une professeure inscrivant l’une de ses classes au concours national de résistance et de la déportation), la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar revient avec Le Ciel Attendra, au sujet tout aussi fort : la radicalisation d’adolescentes par l’islamisme radical.

Toute La Culture a rencontré la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar, la scénariste Emilie Frèche, les actrices Sandrine Bonnaire et Noémie Merlant. Ainsi que la consultante du film : l’anthropologue Dounia Bouzar (qui incarne son propre rôle à l’écran). Elles nous offrent leur regard sur Le Ciel Attendra.

Toute La Culture : Marie-Castille, pourquoi avez-vous eu cette envie, cette urgence de raconter cette histoire, plutôt que celle sur laquelle vous étiez en train de travailler ?

Marie-Castille Mention-Schaar : Oui j’étais partie sur un autre film, le scénario était écrit, je commençais le casting, j’avais mes dates de tournage en tête… Mais c’est vrai que depuis Les Héritiers il y avait certains sujets qui étaient dans ma tête, que j’avais un peu effleurés dans Les Héritiers. J’ai pour habitude de lire les journaux, de découper des articles. Le départ des jeunes filles en Syrie, c’était quelque chose qui personnellement m’intriguait énormément. Il se trouve qu’un jour Émilie, on ne se connaissait pas encore, a mis sur instagram la photo d’un article qui n’était pas un de ceux que j’avais lus mais qui était une histoire similaire, un père qui partait à la recherche de sa fille.

Emilie Frèche : J’avais mis : « Avis aux producteurs : très envie d’écrire un film sur ce sujet ».

Marie-Castille Mention-Schaar : Et j’ai répondu : « Partante ! » mais sans me dire : « J’abandonne tout, je veux faire ça. » On s’est vues, on a parlé de ce sujet. Il se trouve que Bidegain a fait un film qui s’appelait Les Cowboys et qu’au fur et à mesure j’étais toujours dans l’autre sujet mais je commençais un peu à regarder à droite à gauche, et Émilie un peu aussi certainement de son côté, mais on ne se parlait pas vraiment. Il n’y avait rien de concret à part cette envie de traiter, on ne savait pas encore comment, ce sujet là. Le cœur du sujet c’était les filles et pas la périphérie, pas les pères, pas les frères. Je voulais me rapprocher de ça, je voulais écouter des filles qui me parlent de ça. Je pense que si je n’avais pas eu accès à ça je n’aurais pas continué. C’était vraiment ça qui m’intéressait. À partir du moment où j’ai rencontré Dounia, c’est vrai que j’ai dit : « Je laisse tomber l’autre et on y va à fond » et là tout d’un coup c’était extrêmement urgent de s’activer.

Toute La Culture : Sandrine, est-ce que lorsque l’on vous propose le rôle de Catherine, c’est un élan, une réponse immédiate, positive ? Est-ce que vous préparez ce rôle de la même façon que sur d’autres films ? Est-ce qu’il y a une charge supplémentaire quant on rentre dans un film comme celui là ?

Sandrine Bonnaire : Je n’ai pas accepté tout de suite. J’ai été très emballée par le scénario mais le sujet me faisait peur. Je me suis dit : « Il faut qu’on soit tous à la hauteur pour faire un film pareil. » Donc j’ai demandé à Marie-Castille quelques jours de réflexion. J’ai questionné mon entourage. Il y avait les gens qui étaient pour, d’autres qui étaient contre en disant : « Oulalah il faut faire attention, c’est casse-gueule, c’est dangereux ». Et en même temps je trouvais le scénario tellement juste et ce qui m’a touché bien sûr c’est le personnage, mais c’est surtout l’ensemble. C’est-à-dire que je trouvais que c’était un film nécessaire dans le sens où on apprend tout le processus, qu’on connait peu. Parce qu’on dit « Ok, Daesh, l’endoctrinement, etc. » mais on ne sait pas exactement comment ça arrive. En tout cas moi je savais pour les réseaux sociaux mais seulement dans les grandes lignes. Donc c’est surtout ça qui m’a intéressé et je me suis dit, pas tant en tant que comédienne que citoyenne : « C’est important de faire ce film. »
Alors ma crainte quand elle m’a un peu raconté le sujet c’était que je ne voulais surtout pas, mais ça ne pouvait pas être le cas de la part de Marie-Castille, qu’il y ait d’amalgames entre la religion musulmane et les mouvements radicaux. C’était une crainte que j’avais, mais en lisant c’est évident que ça ne parlait pas de ça. Donc après le rôle je l’ai joué de manière très simple, je me suis projetée, je me suis dit : « Il n’y a pas de plus grande douleur que d’être orphelin de son enfant. » Parce que c’est ça, ma fille [dans le film] est totalement transparente dans la famille. Comment ramener son enfant à la vie, à la raison, à l’amour ? C’est comme un enfant mort et en même temps c’est pire parce qu’il est physiquement là. Donc je me suis projetée en tant qu’humain, en tant que femme, en tant que maman aussi. En tant que responsable de cette mission en tant qu’actrice qui doit être à la hauteur des émotions qui ont été écrites et surtout à la hauteur de ces femmes qui ont vécu ça.
Alors pour ce préparer je trouvais que le scénario en disait beaucoup, j’ai lu un des livres de Dounia, Marie-Castille m’a demandé de le lire. J’ai lu aussi un livre écrit par une maman. Et je me suis dit : « Les douleurs les plus profondes il n’y a pas trente-six manières de les jouer. » On n’est plus dans un travail d’actrice, on est dans un travail d’humain et il n’y a rien d’intellectuel à apporter à ça c’est simplement viscéral et c’est le cœur qui parle, c’est le ventre. Et détail très important : je connaissait Noémie parce que quelques mois avant on avait fait un film ensemble avec un groupe de jeunes filles et j’avais eu un vrai coup de cœur pour Noémie parmi toutes ces jeunes filles. J’étais assez épatée par son talent. Et quand j’ai su que c’était Noémie qui allait jouer ma fille – moi sa mère plus exactement – ça a été un plus. Et puis de travailler enfin avec Marie-Castille, qui m’avait proposé Les Héritiers que je n’avais pas pu faire, j’ai été très touchée qu’elle réitère son invitation.

Toute La Culture : Dounia, avec votre regard très éclairé, qu’est-ce qui vous semble le plus fort ou en tout cas le plus réussi dans le film ? Qu’est-ce qui vous touche le plus ?

Dounia Bouzar : Ce qui me touche le plus c’est que j’ai réagi exactement comme les familles de jeunes pro-Daesh parce que la première avant-première on l’a fait avec 300 familles et des jeunes qui étaient en voie de stabilisation, de déradicalisation, et je crois que eux et nous, toute mon équipe, on a tous eu le même sentiment. Les familles ont toutes dit : « Mais c’est notre film, c’est nous ça ! ». Elles ont même cru que ce n’était pas des actrices, Noémie et Naomi, les jeunes qui étaient là elles-même dans le film. Et moi c’est pareil, ce film pour moi c’est exactement ce que j’ai vécu pendant deux ans donc ce qui me touche c’est que Marie-Castille, Émilie et toute son équipe soient arrivées vraiment à faire partager à tous les Français ce que ces familles ont vécu. Vous n’imaginez pas ce que ces familles ont vécu, c’était pire qu’un deuil, vraiment.
D’arriver à le partage, à passer par le cinéma, l’art – parce que ce film ce n’est pas qu’avoir compris, avoir senti, avoir intégré, c’est aussi avoir l’art pour le donner, pour le transmettre – c’est ça qui me touche le plus. Il n’y a pas une fausse note. Il n’y a pas une seconde où je me dis : « Tiens ça sonne faux », où les familles se le sont dit et où les jeunes djihadistes eux-mêmes se le sont dit. Ils ont tous pleuré pendant le film. Ils ont tous pleuré en disant : « C’est moi ! Ce qu’elle fait là, c’était moi ! » Après je ne peux pas dire ce qui m’a touché le plus parce que tout du début à la fin c’est ce qu’on a vécu depuis deux ans jour et nuit, seuls. En fait ce qui me touche le plus c’est qu’on est unis maintenant, avec cette vérité. C’est-à-dire qu’il y a quand même eu un malentendu entre la France et le travail qu’on devait faire dans ce sujet là. On était isolés, on était seuls. Avec les parents on a été seuls mais c’était des grandes solitudes, ça a été l’horreur. Avec les gens qui voulaient voir, qui voulaient maîtriser, qui avaient peur. Et puis là, tout d’un coup, on se sent unis dans ce récit et on a l’impression qu’enfin on va faire cette fameuse chaîne humaine que j’appelle depuis le début, qu’enfin on va tous se donner la main pour combattre cette chaîne de la mort et qu’au moins on a tous les mêmes éléments. C’est ça qui me touche le plus en fait.

Toute La Culture : Noémie, vous avez joué dans Les Héritiers. Le Ciel Attendra est-il pour vous le prolongement ou la continuité du précédent film de Marie-Castille ?

Noémie Merlant : Ce n’est pas facile comme question ! (Rires) Le prolongement pour moi il est avec Marie-Castille. On a commencé une histoire ensembles dans Les Héritiers et là le fait qu’elle me rappelle, puisqu’elle a écrit un rôle en pensant à moi, j’étais extrêmement touchée, flattée et heureuse de retravailler avec elle. C’est génial de travailler avec elle. J’adore son travail, la personne et elle donne du sens à ma vie avec ses films. C’est des cadeaux, c’est des sujets difficiles, engagés, mais qui ont du sens et qui me donnent aussi du sens. J’ai l’impression de me sentir plus utile. Sinon j’ai l’impression d’errer dans ce monde aussi. C’est quelque chose qui m’a frappée justement en regardant ces vidéos : moi aussi je peux avoir ces questionnements sur la façon de mettre du sens dans ma vie.
Et le lien c’est la jeunesse. Pour moi la continuité c’est une jeunesse qui a besoin de dialogue, qui a besoin qu’on l’écoute, qui a besoin de mettre du sens. Parce que c’est ce qu’elle fait Madame Guéguen dans Les Héritiers. Elle permet de recréer une union, un dialogue entre les jeunes. Le fait de leur parler, elle leur propose des choses, elle leur donne confiance. C’est comme une route qu’elle trace avec eux. C’est ça aussi le sujet du Ciel attendra.

Emilie Frèche : Je pense que c’est aussi la France le lien entre Les Héritiers et Le Ciel Attendra. Je trouve que ça dit quelque chose de notre pays, de la jeunesse effectivement mais dans notre pays. C’est un regard sur le monde dans lequel on vit et notamment quel est l’horizon qu’on propose aux jeunes. Il y a de l’espoir dans les deux films. Il y a des gens qui les sauvent. Une professeure, une Dounia. Donc à chaque fois je trouve que ce sont des films lumineux, solaires.

Synopsis : Sonia, 17 ans, a failli commettre l’irréparable pour “garantir” à sa famille une place au paradis. Mélanie, 16 ans, vit avec sa mère, aime l’école et ses copines, joue du violoncelle et veut changer le monde. Elle tombe amoureuse d’un “prince” sur internet. Elles pourraient s’appeler Anaïs, Manon, Leila ou Clara, et comme elles, croiser un jour la route de l’embrigadement… Pourraient-elles en revenir ?

Le Ciel Attendra

Un film de Marie-Castille Mention-Schaar.

Avec Sandrine Bonnaire, Noémie Merlant, Clotilde Courau, Naomi Amarger.

Durée : 1h44

Sortie le 5 octobre 2016.

Retranscription de l’interview : Charles Filhine-Trésarrieu

Visuels : Affiche : © UGC Distribution, Photos : © Guy Ferrandis

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Gregory Marouze
Cinéphile acharné ouvert à tous les cinémas, genres, nationalités et époques. Journaliste et critique de cinéma (émission TV Ci Né Ma - L'Agence Ciné, Revus et Corrigés, Lille La Nuit.Com, ...), programmation et animation de ciné-clubs à Lille et Arras (Mes Films de Chevet, La Class' Ciné) avec l'association Plan Séquence, Animateur de débats et masterclass (Arras Film Festival, Poitiers Film Festival, divers cinémas), formateur. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma, juré du Prix du Premier Long-Métrage français et étranger des Prix de la Critique 2019, réalisateur du documentaire "Alain Corneau, du noir au bleu" (production Les Films du Cyclope, Studio Canal, Ciné +)

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