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[Dossier] Le marketing du chiffre et l’effet moutonnier au ciné: “Ce film a bouleversé 10 millions d’américains”
Pour le dossier “Comptez Les Moutons”, Toutelaculture s’interroge sur la culture du chiffre et son impact sur la perception des œuvres culturelles. La connaissance des statistiques est passionnante car elle permet de mieux comprendre le fonctionnement de l’industrie du 7ème art. Mais quand l’utilisation de chiffres devient argument d’autorité, la manipulation n’est pas loin. Retour sur ces “phénomènes” et ces “records” que l’on nous vend en permanence, avec plus ou moins de succès.
Il y a quelques semaines, sortait en fanfare un petit film de science-fiction dystopique, plutôt efficace, mais sans grand intérêt. Présenté comme le succès de l’année aux Etats-Unis, Le Labyrinthe est arrivé en France avec sa réputation de “phénomène du moment”. En y regardant de plus près, le film a fonctionné honnêtement mais modestement aux Etats-Unis. La mobilisation de l’effet moutonnier a pourtant fonctionné à fond. Histoire similaire avec Nos étoiles contraires quelques semaines auparavant. Le “film qui a ému des millions d’ados américains” a lui vraiment bien marché outre-Atlantique. Mais ce succès US est devenu le principal argument de vente en France, où le roman était moins connu et l’attente pour ce type de mélo bien pensant, relativement faible.
Lucy de Luc Besson a grandement bénéficié de cet effet, agrémenté d’un brin de patriotisme culturel. Le succès aux Etats-Unis, largement couvert par la presse, a lancé le buzz et créé l’envie. La technique ne fonctionne pas à tous les coups. On se souvient encore de la promotion massive sur Les Misérables, lancée comme un blockbuster, et qui s’est soldée par un échec retentissant en France où le public est peu friand de ces grosses productions musicales. Côté film d’auteur, Precious avait bénéficié d’une même promotion basée sur son pseudo “succès” américain. Mais ce gros mélo social ultra démonstratif n’avait pas percé chez nous.
La culture du chiffre ne concerne pas seulement la mise en valeur d’éléments “box-office” mais aussi leur budget, le nombre de jours de tournage, d’effets spéciaux, le cachet des acteurs, les récompenses etc. Certaines affiches de films d’auteur oublient tout aspect esthétique pour devenir des agrégats d’étoiles critiques et de prix. Etant donné le nombre de récompenses sur le marché, certains films comme Intouchables ou Le discours d’un roi pouvaient ainsi présenter leurs 100 gratifications en tout genre. Même discours sur le budget et les “chiffres clefs”. James Cameron a souvent joué cette carte de “film le plus cher de l’histoire”. Suivant le bon sens commun du “si ça coûte beaucoup, ça doit valoir le coup”.
La presse généraliste, qui connait souvent mal la question, reprend alors, sans s’en rendre compte, des éléments de langage appartenant aux campagnes de marketing. Et l’on se retrouve avec 10 films dans l’année qui seraient devenus le budget le plus élevé de l’histoire du cinéma. Le gloubi boulga de chiffres se retrouve en interview et en promotion. Où les blockbusters doivent justifier leur attractivité auprès du public à grand renfort de statistiques toutes plus inutiles les unes que les autres. Cette tendance peut se retourner contre ses auteurs. Comme l’avait montré la réception mesurée d’Asterix aux Jeux Olympiques, dont la promotion était écrasée de ces références permanentes au budget démesuré, rendant encore plus critiquable le résultat final très cheap ( voir l’article du Monde).
La culture du chiffre n’est pas mauvaise en elle même (il faut bien justifier nos articles hebdomadaires sur le box-office!). Mais le manque de recul et l’aveuglement face à des données qui inondent l’actualité culturelle rend difficile une compréhension constructive de toutes ces statistiques. Alors repensez-y quand on vous parlera du prochain film qui a bouleversé l’Amérique entière, fait plier en deux l’intégralité de l’Europe, explosé le record de budgets, dépassé les 350 récompenses en festival ou multiplié par quatre le record de caravanes mobilisées pour un tournage.
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Marla
L’article est très bien vu, merci. L’effet-mouton est essentiel pour les films à gros budget. Le discours ressemble à “Tout le monde va le voir, donc il faut y aller.” Histoire de pas mourir idiot, quoi. Arnaque d’autant plus grande que, pour Lucy, ce n’était qu’une série de plagiats de la part de Luc Besson. Explications: http://marlasmovies.blogspot.fr/2014/08/lucy-scarlett-johansson-de-wonder-woman.html