[Critique] « L’humour à mort » : témoignage intime sur Charlie hebdo et les attentats du 7 janvier
Daniel et Emmanuel Leconte livrent un documentaire sous forme de témoignage personnel, intime et quasi familial sur la tuerie du 7 janvier. Rendant hommage à chaque victime et retraçant le parcours de joyeux crayonneurs assassinés pour leurs blagues et leur bagout. L’humour à mort manque de distance et d’analyse mais bouleverse par son hagiographie sincère d’hommes et de femmes devenus malgré eux un symbole de liberté.
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Extrait du synopsis officiel :Le 7 janvier 2015, l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo est victime d’une attaque terroriste qui coûte la vie à douze personnes. Le lendemain, une policière est tuée dans la rue. Le 9 janvier, une nouvelle attaque vise des juifs de France. Quatre otages sont assassinés. Ce film est un hommage à toutes ces victimes.
Daniel Leconte s’était déjà intéressé à Charlie hebdo et au combat pour la liberté d’expression dans C’est dur d’être aimé par des cons, revenant sur le procès de Charlie après la publication des caricatures du prophète. L’humour à mort part également de ce moment clef, nous replongeant dans les réactions de haine, les lettres d’insultes, les menaces et les manifestations provoquées par de simples dessins. Un déferlement qui fait de Charlie une cible et de Charb un symbole. Daniel et Emmanuel Leconte se focalisent ensuite sur la journée du 7 janvier, recueillant les témoignages glaçants des survivants qui racontent l’horreur, l’incrédulité et le sentiment d’impuissance devant la froideur des meurtriers. Une boucherie précédant une semaine irréelle, marquée par d’autres massacres et une immense émotion populaire. La caméra s’immisce dans les locaux de Libé, pour suivre l’élaboration d’un numéro qui deviendra historique, symbolisé par la Une “Tout est pardonné”. Elle accompagne également la rédaction de Charlie lors de cette incroyable journée du 11 janvier où des millions de français se sont retrouvés dans la rue. Démontrant un attachement au symbole de Charlie que personne n’avait anticipé. Un moment unique, suspendu, entre célébration joyeuse et recueillement respectueux. Un mouvement de masse spontané, véritable pied de nez à la terreur, d’une ampleur inédite.
Des archives de conférences de rédaction, de fêtes arrosées et d’interviews des dessinateurs assassinés s’intercalent avec les images de janvier 2015. Car L’humour à mort est avant tout l’hommage d’un proche qui a perdu beaucoup de ses potes et vit le fait médiatique comme une douleur personnelle. Le ton est souvent amer car la soudaine solidarité envers Charlie Hebdo n’efface pas le souvenir de la solitude du journal avant les attentats. La mémoire d’indésirables très critiqués avant de devenir les héros éphémères d’une Nation toute entière. Elizabeth Badinter trouve les mots justes pour décrire cette culpabilité collective que les médias, la presse et le monde de la culture ont pu ressentir. Quand la célébration soudaine de l’impertinence face à l’auto-censure et l’hommage aux “martyrs” de la liberté d’expression cachait à peine nos propres lâchetés. Charlie est devenu symbole par défaut, malgré lui, occupant seul le vide laissé béant par les autres. Une cible évidente car sans aucun allié pour tenir haut le verbe et le crayon. Daniel et Emmanuel Leconte n’oublient pas non plus l’autre tuerie de janvier 2015, marquée du sceau de l’antisémitisme le plus primaire. Et nous rappellent également la diversité des victimes touchées: des flics, des dessinateurs, des employés, des clients. Des blancs, des noirs, des arabes. Des chrétiens, des juifs, des musulmans.
L’analyse du film s’arrête cependant au constat, sans chercher à analyser les débats de fond qui ont succédé au consensus national. Sur les discussions tendues en classe, les “je ne suis pas Charlie”, l’état de la presse indépendante en France, les dissensions au sein même du journal, etc. Et c’est peut-être la limite d’un film qui se veut avant tout un témoignage bouleversant, intime et familial. Un cri du cœur triste et révolté, se rappelant également des moments de joie, pour rendre hommage à des personnalités très attachantes. La sortie du documentaire un mois après les tueries du 13 novembre permet pourtant une lecture politique au film. Qui rappelle un moment où l’extrémisme religieux avait frappé avec la même sauvagerie, mais en provoquant une réaction publique très différente. En novembre, les français n’ont pas eu l’occasion de marcher ensemble pour afficher une résistance unie. L’esprit de rébellion ne s’est exprimé qu’à travers quelques joyeux “je suis terrasse”. La récupération politique a été immédiate, dans une course au plus belliqueux et au plus sécuritaire. Cela fait bientôt un an que Charb, Cabu et les autres ont disparu. Et l’humour à mort est un excellent moyen de se souvenir : d’eux, des policiers, des victimes de l’hyper casher. Mais aussi de ce sentiment collectif qui semble avoir fait long feu.
L’humour à mort, un film de Emmanuel et Daniel Leconte, durée 1h30, sortie le 16décembre 2015