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[Critique] “Haramiste” d’Antoine Desrosières : fragments comiques d’un discours sexuel

[Critique] “Haramiste” d’Antoine Desrosières : fragments comiques d’un discours sexuel

21 October 2015 | PAR Laurent Deburge

Sexe, Islam et jeunes filles en fleur : un cocktail plutôt risqué pour un moyen-métrage de comédie très réussi, qui se maintient à l’affiche de l’Accatone depuis le mois de juillet.
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Quand Yasmina, 17 ans, décide de faire le mur pour rejoindre un trentenaire contacté sur Internet, sa grande sœur Rim qui n’avait de cesse de la sermonner en la traitant d’ « haramiste », se trouve bien désemparée, entre abandon, jalousie et frustration.

Est « haram » dans la religion musulmane, ce qui est à la fois interdit et sacré, ce qui relève du péché ou du tabou, et entre ainsi dans un dispositif de contrôle social des comportements, comme tout ce qui relève d’une norme. Dans le film d’Antoine Desrosières, il s’agit d’un sujet topique s’il en est : l’initiation à la sexualité ou plus précisément, au discours sur la sexualité chez deux jeunes sœurs d’origine maghrébine, dans un idéal-type de « cité » de banlieue. A l’heure sinon des « premiers désirs » du moins de leur premier aveu et à l’époque des sites de rencontre ou de « chatroulette », qu’est-il permis de penser, de dire et de faire, notamment quand on porte le voile ?

Ce moyen-métrage de 40 minutes aborde nombre de sujets épineux et importants, à un moment où la société française se crispe, entre libéralisation sociétale et tentations conservatrices, avec la peur de l’intégrisme islamique en épouvantail pas toujours fantasmé. Mais au-delà de la liberté de ton consistant à donner une parole aux filles et à leurs désirs, il faut voir surtout un formidable prétexte à comédie pour un exercice de cinéma particulièrement efficace.

Le réalisateur Antoine Desrosières, loin d’être un novice, est notamment l’auteur de deux long-métrages, dont A la belle étoile (1933) avec Mathieu Demy, Julie Gayet et Chiara Mastroianni.

Pour Haramiste, il recourt à travail d’écriture collective, à base de répétitions, comme certaines troupes théâtrales, chez Joël Pommerat par exemple, ou comme Mike Leigh (Another Year). Cette approche permet aux comédiennes de créer pleinement leur personnage, puisqu’elles sont coauteures de leurs dialogues, et permet une dose d’improvisation cadrée pour arriver à un naturel confondant. Ainsi que l’exprime Desrosières, seule la fiction peut permettre cet effet d’hyperréalisme, avec acteurs libres en totale créativité.

Le résultat est surprenant : de longs plans séquences de jeu pur, une grande maîtrise de la mise en scène, une apparente (et fausse) simplicité qui rappelle Rohmer mais dans un autre registre de langue et surtout avec un tout autre statut de la parole. L’inscription des échanges de SMS écrits en blanc et en gros au milieu de l’écran évoque Godard, sans doute une référence pour Antoine Desrosières qui s’était livré à un hommage à la Nouvelle Vague dans son film Banqueroute (2000).

L’image est étrange, travaillée avec un grain qui rappelle la télévision des années 80 même si selon l’aveu du réalisateur, c’est plutôt le rendu des Scopitones des années 60 qui était visé, ainsi qu’en témoigne la bande son 100% yéyé.

Mais la grande découverte de ce film c’est incontestablement les deux jeunes actrices, Inas Chanti (Rim) et Souad Arsane (Yasmina), qui irradient de complicité et de malice, de spontanéité et de drôlerie. C’est un régal de les écouter se chamailler, se conseiller, se défier, se reprendre et se vanner. Elles forment un duo exceptionnel de caractère et de douceur mutine et possèdent un grand charisme. Le personnage de Rim, c’est le mystère, la sensualité et la rébellion, tandis que Yasmina, dans son rôle de grande sœur, incarne le rapport à la norme, à la société, la famille, à la parole qui encadre.

Sortir un film court au cinéma est très exceptionnel, mais le maintenir à l’affiche durant quatre mois l’est encore davantage. Le secret de cette distribution intelligente, c’est d’accompagner le film à toutes les projections, et de faire jouer le bouche à oreille et les réseaux sociaux. Ainsi Antoine Desrosières anime, avec souvent les interprètes de son film ou des critiques invités, des rencontres post-projection, qui sont plus qu’un échange classique des questions-réponses mais un véritable débat au cours duquel les spectateurs s’interpellent réciproquement, laissant parfois l’équipe du film reléguée à un rôle de simple arbitre.

Haramiste est une jolie découverte, une manière engagée de faire du cinéma et de montrer un film.

Page facebook du film avec les évènements des prochaines projections-débat, samedi 24 octobre à 19h30 et lundi 26 octobre à 21h à l’Accatone, 20 rue Cujas, 75005 Paris.

visuel : photo officielle

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Laurent Deburge

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