
Gerhard Richter à Beaubourg : sublime panorama
Après la Tate à Londres et la Neue Nationalgalerie à Berlin, c’est au Centre Pompidou que s’achève cette rétrospective itinérante sur l’œuvre du peintre allemand Gerhard Richter. Une étape que la commissaire Camille Morineau a voulu plus aérée, ouverte sur la ville, et axée sur les explorations techniques du peintre.
Tout au bout de la galerie 1, les baies vitrées sont dégagées : Paris s’offre à notre regard dans un dialogue ouvert avec les toiles monumentales du peintre octogénaire. Une ouverture extérieure essentielle pour comprendre la manière dont Richter s’est toujours nourri de son environnement, depuis l’incursion du politique dans ses photopaintings des années 60 aux personnes de son entourage proche ces dernières années.
Dix salles thématiques (et chronologiques) apportent un éclairage sur des moments décisifs dans son parcours pictural. Dès son arrivée en Allemagne de l’Ouest, après la construction du mur de Berlin, Richter semble s’être arrimé à une unique obsession qui lui a tenu d’ambition : réhabiliter la peinture. Ce qui frappe d’emblée, c’est la remise en question permanente de son mode opératoire. Le peintre n’a eu de cesse d’expérimenter de nouveaux outils (dont les fameux racloirs), toujours attentif à renouveler son approche pour tenter de sonder le mystère de la couche picturale. Tout en défiant la modernité duchampienne qui annonçait dès le début du siècle la mort de son médium, il renouvelle au passage avec acuité les genres traditionnels que sont le portrait, le paysage et la peinture d’histoire.
Dans une mise à distance du sujet même de la peinture, Richter confond abstraction et figuration dans une tension toujours renouvelée. Sachant pertinemment que le spectateur ne peut s’empêcher de déceler des formes derrière les tableaux les plus abstraits, il en joue. Ainsi, dans la salle 3 « Combattre le motif », une toile intitulée Paysage urbain produit en nous un trouble saisissant : quelques pas en arrière, et voici que les grossiers coups de brosse noirs, gris et blancs composent une vue aérienne de Paris immédiatement reconnaissable.
Ce surgissement parcourt l’ensemble des toiles, comme si le peintre ne cessait de traquer, en convoquant la photographie et ses spécificités, l’irruption du motif, le moment où la représentation affleure à la surface. La salle 7 « Repenser le classicisme » est éloquente à cet égard : depuis la photo d’un champ traduite en peinture à la brosse, Richter s’éloigne progressivement via plusieurs esquisses pour aboutir à une trace abstraite. Comme si la photographie avait été absorbée et ingérée par la peinture.
Admirateur de John Cage, Richter voit en effet dans la peinture un art aussi ancestral et propre à l’homme que la danse ou le chant, profondément lié à la contingence humaine. Si son passage à l’abstraction dans les années 1970 correspond à un étirement du temps, le processus de gestation pouvant parfois couvrir plusieurs mois, à mesure qu’il bâtit la complexité de la couche picturale par ajouts et raclages successifs, ses dernières explorations semblent plutôt vouloir accélérer le temps. Les petits émaux sous verre de la dernière salle résultent d’un processus très bref : la couche de peinture est capturée sous une plaque de verre 1 seconde après sa dépose.
Signalons enfin dans la même salle une petite toile bouleversante : en 2005, Richter livre sa version des attentats du 11 Septembre. La portée spectaculaire de l’événement a disparu, pour n’en laisser filtrer que la dimension humaine, la souffrance. L’avion meurtrier se perd dans les coups de brosse abstraits qui le doublent. Une pudeur et une intégrité qui font écho à la morale esthétique de toute une vie.
« Fixer la tristesse, la pitié et la peine. Mais sûrement, aussi, la peur. » Gerhard Richter
Visuels :
1024 couleurs, 1973 © Gerhard Richter, 2012
Jaune-vert, 1982 © Gerhard Richter, 2012
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