Un regard sur la photographie contemporaine du Musée du Quai Branly
Pour sa réouverture, le Musée du Quai Branly – Jacques Chirac propose une exposition de photographie contemporaine extra-européenne, qui aurait initialement dû ouvrir fin mars. Un regard réjouissant et captivant sur la création photographique actuelle.
La photographie, une collection méconnue du musée
Quand on pense au musée du Quai Branly, la photographie n’est pas ce qui vient tout de suite à l’esprit. Pourtant, le musée conserve 710 000 photographies, constituant ainsi un fonds de référence internationale. Issue de la réunion des collections du Musée de l’Homme et du Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie, cette collection s’est enrichie de près de 70 000 acquisitions depuis l’ouverture du musée en 2006.
Et depuis 2008, un programme de résidences photographiques vient soutenir la photographie contemporaine extra-européenne. Le travail des trente-cinq lauréats est ensuite intégré aux collections du musée, qui compte aujourd’hui un millier de photos contemporaines.
A toi appartient le regard et (…) la liaison infinie entre les choses, la première exposition de création contemporaine du musée du Quai Branly, permet donc d’avoir un aperçu du lien du musée à la photographie. Plusieurs des artistes exposés ont bénéficié des résidences et s’exposent aux côtés de figures majeures de la scène photographique actuelle. L’exposition est dédiée à l’un d’eux, Santu Mofokeng, disparu en janvier dernier.
Prendre le temps de poser le regard
L’exposition regroupe vingt-six artistes de dix-huit pays, d’âges et de pratiques variés, et tous sont présentés sur un pied d’égalité. Le sujet de l’exposition est la photographie, et non la photographie dans tel ou tel pays. De fait, le pays d’origine de l’artiste est volontairement omis des cartels, dans une volonté de supprimer toute préconception, toute vision exotique ou pittoresque.
Au premier abord, le contexte de la photographie et du photographe lui-même est mis de côté pour favoriser une approche sensible de l’image. L’exposition cherche à montrer les photographes comme une large communauté artistique qui transcende les frontières, sans les enfermer dans une origine. Le mexicain José Luis Cuevas explore le Japon sur les traces de Kenzaburô Ôe, l’américaine Daniela Edburg plonge dans les paysages d’Islande ou le sud-africain Guy Tilim documente les capitales africaines : seule l’image et le regard de l’artiste entrent en ligne de compte.
Et l’idée fonctionne : on est happés par ces images, fixes ou animées, qui dessinent un portrait du monde par petites touches. Dès l’entrée avec les 666 autoportraits de Samuel Fosso, présentés dans leur intégralité pour la première fois, le temps semble ralentir. Cette succession de photos quasi identiques permet de nous couper de l’avalanche d’images à laquelle nous sommes soumis quotidiennement, dans une cacophonie de couleurs et de slogans. L’œil se repose et se pose enfin sur les détails, prenant le temps d’établir un lien avec ce que l’on regarde.
La photographie, art et matière
Le titre de l’exposition, A toi appartient le regard et (…) la liaison infinie entre les choses, tiré d’un essai de l’historien de l’art Roland Recht, sert de trame au parcours de l’exposition. En mettant en exergue chacune des parties de cette phrase, on aborde différentes questions telles que la subjectivité de l’image, la perception du photographe et celle de celui qui regarde la photo, ou encore la fragmentation de la réalité ou le récit des images.
L’exposition cherche également à présenter les différentes façons d’utiliser l’image et la photographie. En effet, cet art peut également servir de matière première de création. Par exemple, Dinh Q. Lê utilise des photos issues d’albums de famille pour créer des structures de la taille de moustiquaires, espaces refuges délimités de souvenirs du cocon familial. Carlos Garaicoa, quant à lui, retravaille des photographies en ajoutant des typographies en creux, des architectures imaginaires taillées dans la matière ou encore des géométries de fils brodés sur ses images.
L’histoire et l’enquête
La simple juxtaposition des images suffit parfois à raconter une histoire. Des liens se créent entre elles, mais ils restent propres à chacun des observateurs. Chacun reconstitue son récit à partir des fragments qu’on nous propose en complétant les vides par sa propre expérience. Ainsi, l’histoire peut varier. Si l’on s’intéresse à l’œuvre Essay on urban planning de Sammy Baloji, on se rend compte qu’elle peut se lire de différentes façons. Elle peut parler des récoltes de mouches des années 1930 à 1960 au Congo, des collections entomologiques du pays ou encore de l’histoire coloniale et de ses traces dans la ville actuelle.
Le photographe rend le résultat de son enquête sur un territoire par ses images. Gosette Lubondo peuple un lycée à l’abandon de ses personnages fantomatiques et recompose ainsi l’histoire de son pays. Mario García Torres interroge la capacité d’une image à transmettre ce récit, et par là même questionne la validité de la photographie en tant que preuve. Peut-elle être le reflet de la vérité ? Où s’arrête le biais posé par le regard de l’auteur ?
L’image peut souvent servir un dessein, plus ou moins ouvertement, être un outil pour faire passer un message, politique ou idéologique. Les vidéos de Yoshua Okón ou José Alejandro Restrepo exposent les positions clairement ambivalentes que peuvent avoir certains vis-à-vis de leur histoire, entre appropriation culturelle et déni.
L’exposition A toi appartient le regard (…) nous entraîne dans un univers où l’image a du sens, une histoire à raconter et une vitalité créative vivifiante. A nous de prendre le temps de les écouter.
A toi appartient le regard et (…) la liaison infinie entre les choses
Du 30 juin au 1er novembre 2020
Musée du Quai Branly – Jacques Chirac – Paris
Visuels : 1- affiche de l’expo / 2- Guy Tillim, Museum of the Revolution, Harare 2016. © musée du quai Branly – Jacques Chirac / 3- Sammy Baloji , Essay on urban planning © Sammy Baloji © musée du quai Branly – Jacques Chirac © Alessandra Bello / 4- Daniela Edburg, Steam taken from Haukaddur Iceland. Oct 2013. © musée du quai Branly – Jacques Chirac / 5- : Cynthia Soto, Paysage (re)trouvé, A la recherche du paradis perdu : “Fitz Roy” © musée du quai Branly – Jacques Chirac