Le caméléon Samuel Fosso à la MEP
Menée par Clothilde Morette, l’exposition de l’incontournable photographe Samuel Fosso s’achèvera ce 13 mars 2022. Une impressionnante rétrospective de l’œuvre de l’autoportraitiste franco-camerounais aux milles visages à la Maison européenne de la photographie.
Un artiste prolifique et polymorphe
Dans cette rétrospective qui présente l’artiste depuis le commencement de sa carrière dans les années 1970 – dont certaines œuvres inédites – c’est tout un monde de la performance photographique et de l’exploration des identités qui s’ouvre à nous. Nous évoquant même une autre figure majeure contemporaine du genre, Cindy Sherman.
Samuel Fosso s’amuse en effet d’incarner une multitude de personnages – des anonymes, des figures historiques, des proches. Il interroge ainsi les stéréotypes de notre société, les rôles sociaux que nous jouons – tantôt la “bourgeoise” ou le “marin” dans sa série TATI-, mais aussi la politique. Pour ce faire, il prête un grand soin aux moindres détails que représentent l’habillement, les objets, les poses du corps, l’attitude d’un artiste qui se fait acteur. La scénographie suit un ordre chronologique ; depuis les débuts du photographe qui a ouvert son propre studio dès l’âge de 13 ans en Centrafrique, à Bangui – où il exerce l’art du portrait. Il expérimente aussi la photographie de mode (il a collaboré avec le Vogue français), dominante en noir et blanc. Mais c’est avant tout pour sa pratique de l’autoportrait qu’il sera consacré.
Un témoin de notre société
“Quand je travaille, c’est toujours une performance que je choisis de faire”.
Son œuvre retrace aussi bien un récit autobiographique que le compte-rendu de notre monde contemporain : qu’il s’agisse de la relation entre l’Afrique et l’Occident, de géopolitique, du monde post-colonial – notamment avec les séries ALLONZEFANS (où il se représente en tireur sénégalais de la 1ère guerre mondiale), Emperor of Africa -où il y caricature Mao Zedong. Des grandes figures noires historiques qu’il admire parsèment les murs de la MEP – parmi lesquelles Martin Luther King, Malcolm X, Angela Davis (série African Spirits). Samuel Fosso interroge ainsi nos perceptions et nos représentations – particulièrement en se représentant en pape noir (Black Pope), dont il normalise l’image (inexistante de l’histoire du christianisme).
La photographie qu’il porte est même autobiographique. Dans une série en noir et blanc particulièrement marquante où il se représente nu (Mémoire d’un ami), il imagine la dernière nuit de son ami Tala, assassiné par la milice armée centrafricaine à Bangui. Une autre pièce toute entière est consacrée à son grand-père, guérisseur traditionnel lgbo, dans le rôle duquel il se glisse. SIXSIXSIX -666 autoportraits polaroïds- explore ses émotions à vif, en plans serrés sur son visage. Samuel Fosso, trop réduit à un supposé narcissisme, parvient pourtant à construire un récit commun, témoigne de la société et de l’expérience humaine à partir de son seul visage, corps et appareil photographique.
Samuel Fosso, Maison européenne de la photographie. De 6 à 10 euros, jusqu’au 13 mars 2022.
Visuel : Samuel Fosso, Autoportrait. Série “Tati”, Le Chef (celui qui a vendu l’Afrique aux colons), 1997. © Samuel Fosso, courtesy Jean-Marc Patras