Soulèvements au musée du Jeu de Paume
Le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman, commissaire de l’exposition Soulèvements, s’interroge sur le poids de la mémoire et du passé dans l’espace du Jeu de Paume. Parcours artistique, esthétique et politique, les « Soulèvements » sont pluriels, combats menés par les artistes tout au long du siècle. Tour d’horizon de l’exposition, à découvrir au musée du Jeu de Paume jusqu’au 15 janvier 2017.
Georges Didi-Huberman a grandit à Saint Etienne, ville minière française, marqué dans sa jeunesse par un fort taux de chômage. Pourtant ce que le philosophe a retenu de son enfance, c’est plutôt la solidarité des populations que la misère et la pauvreté. Et finalement, c’est de cette même dynamique qu’est née l’exposition Soulèvements, dans les temps sombres surgit la lumière.
L’exposition prend le parti d’analyser les différentes formes de représentation des soulèvements en cinq parties (les éléments, le geste, les mots, les conflits et les désirs). Malgré de très belles pièces dont nous parlerons par la suite, le choix de ce découpage est un peu trop scolaire et manque d’associations instinctives. Ces soulèvements semblent parfois bien sages, rangés en ligne sur les cimaises du Jeu de Paume. Toutefois, certaines œuvres sont de vraies découvertes, tour d’horizon de celles qu’il ne faut pas manquer.
La série des photographies de Gilles Caron en fait partie. Datant de 1969, le reporter était à l’époque à Londonderry lors des manifestations anticatholique. Ce photographe à la carrière éclair (seulement 5 ans car il a été porté disparu au Cambodge pendant la guerre) a su photographier les victimes de la violence sociale comme peu on sût le faire après lui. À Londonderry, il saisit la violence du système en capturant le mouvement. L’une des plus belles images est celles de deux manifestants qui jettent des pierres dans une rue où des décombres semblent tombé du ciel, comme dans un décor apocalyptique. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’elle a été choisie comme affiche de l’exposition…
On découvre plus loin la vidéo de Lorna Simpson, Easy to Remember datant de 2011. La photographe plasticienne, d’origine afro-américaine avait déjà fait l’objet d’une rétrospective au Jeu de Paume il y a quelques années. Dans cette vidéo, quinze bouches, presque fermées fredonnent doucement la célèbre chanson de Rodgers & Hart. Ce chant murmuré à plusieurs voix évoque très clairement la condition des esclaves et surtout leur résistance sans faille.
Comme la révolte vient aussi par les mots, un espace entier est consacré à des écrits de grands artistes, on trouve notamment des pages rédigées par Victor Hugo. Mais les œuvres les plus marquantes de cette section sont celles du mouvement Dada. À côté de leur célèbre manifeste se trouve un portrait d’Herwarth Walden envoyé par Raoul Hausmann à Théo Van Doesburg. Le portait d’un homme en noir et blanc, au visage sérieux et fermé, est recouvert d’insultes plus ou moins légères. Le soulèvement, ce n’est pas forcément un geste, mais aussi le rire ou la dérision comme autant de remparts face à la violence du monde.
Enfin, l’exposition se ferme sur l’incroyable vidéo réalisée en 2016 par Maria Kourkouta, Idomeni, 14 mars 2016. Frontière gréco-macédonienne. La cinéaste, dont le travail n’a pas pour habitude de se retrouver dans des musées, a posé pendant un an sa caméra à la frontière entre la Grèce et la Macédoine. On y voit des migrants parler de leurs destins, parfois sans chaussures, souvent sans bagage, près à se tourner vers l’inconnu. Selon le commissaire Georges Didi-Huberman, il était évident de finir l’exposition par cette vidéo puisque elle est l’écho de ce qui arrive aujourd’hui en Europe.
Visuel : Gilles Caron, Manifestations anticatholiques à Londonderry, 1969
Épreuve gélatino-argentique, tirage moderne
40 x 30 cm
Fondation Gilles Caron
© Gilles Caron / Fondation Gilles Caron / Gamma Rapho
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