
La collection Emil Bührle au musée Maillol
Tandis que le Kunsthaus de Zurich fait peau neuve et s’agrandit pour redéployer en ses murs la collection Bührle, ces chefs-d’oeuvre se font la malle et s’installent pour quatre mois au musée Maillol.
Les habitués du musée Maillol n’ont pas oublié la sémillante exposition 21 rue la Boétie, en 2017, qui revenait sur le parcours du marchand d’art Paul Rosenberg, et notamment les spoliations qu’il eut à subir pendant la Seconde Guerre mondiale. Gageure périlleuse, donc, que de présenter la collection d’Emil Bührle, collectionneur allemand, naturalisé suisse, et confronté à la question des provenances douteuses de certaines de ses acquisitions au lendemain de la guerre. D’autant que notre homme s’enrichit en livrant des armes à l’Allemagne, alors que le Traité de Versailles le proscrivait formellement.
Plutôt que de taire cet aspect, le commissaire Lukas Gloor, directeur et conservateur de la collection à Zurich, préfère l’aborder frontalement, avec une chronologie étayée de photographies dans la première salle d’exposition, face à plusieurs Manet remarquables (le Suicidé et de belles oeuvres de plein air). Une petite salle documentaire prend soin de dresser l’ensemble des oeuvres répertoriées par le tribunal fédéral suisse en 1948, treize oeuvres dont 9 furent immédiatement rachetées après restitution à leurs propriétaires légitimes, à commencer par La Liseuse de Corot, restituée puis rachetée à Paul Rosenberg. Ce dernier continuera de faire affaire avec Emil Bührle, dont la “bonne foi” au moment de ses acquisitions fut reconnue par le tribunal, condamnant la galerie Fischer qui les lui avait fournies à le dédommager de ses pertes.
Qu’est-ce qu’une collection ? L’histoire d’un homme, mais aussi l’histoire du goût à une époque donnée. Si Emil Bührle raconte avoir été saisi par la découverte de l’impressionnisme au musée national de Berlin dès 1913, l’essentiel de ses achats furent effectués dans les années 1950, une époque où l’histoire de la modernité se lit déjà comme par chapitres, avec quelques décennies de distance.
De l’homme, on sait qu’il s’intéressait finement à l’histoire de l’art, avec deux singularités chez lui : d’une part, c’est l’art moderne qui le conduit vers l’ancien. Ainsi, ce sont les paysages impressionnistes qui le poussent à acquérir des Vénitiens du XVIIIe siècle – dont un très beau Francesco Guardi présenté dans l’exposition. D’autre part, le collectionneur aime à posséder des ensembles de ses artistes favoris, sans éluder leurs périodes de formation. Ainsi, le Van Gogh période mangeurs-de-pommes de terre côtoie-t-il le Van Gogh enfiévré des derniers mois à Auvers. Même chose pour Cézanne, la période couillarde est représentée comme ses expérimentations pré-cubistes tardives. Seul regret du commissaire, que nous partageons : faute de place sur les cimaises, l’ensemble des Cézanne se retrouve scindé entre les deux niveaux du musée.
Également des Gauguin magnifiques (L’Offrande) et un ensemble de Toulouse-Lautrec qui nous met l’eau à la bouche avant la grande rétrospective qui lui sera consacrée à l’automne prochain au Grand Palais. Mais il est bien possible que l’Autoportrait à l’oreille bandée de Van Gogh ou le Bar aux Folies-Bergères de Manet collectionnés par Samuel Courtauld et présentés actuellement à la Fondation Vuitton l’emportent par leur renommée et leur place majeure dans l’histoire de l’art. À suivre donc…
Visuels © :
Amedeo Modigliani, Nu couche?, 1916, huile sur toile, 65,5 x 87 cm Collection Emil Bu?hrle, Zurich © SIK-ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn)
Vincent van Gogh, Branches de marronniers en fleur, 1890, huile sur toile, 73 x 92 cm Collection Emil Bu?hrle, Zurich © SIK-ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn)
Henri de Toulouse-Lautrec, Messaline, 1901, huile sur toile, 92 x 68 cm Collection Emil Bu?hrle, Zurich © SIK-ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn)
Paul Ce?zanne, Le Garc?on au gilet rouge, 1888-1890 Huile sur toile, 79,5 x 64 cm Collection Emil Bu?hrle, Zurich © SIK-ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn)