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Chaumont-photo-sur-Loire construit son paysage

29 November 2021 | PAR Laetitia Larralde

Pour cette édition 2021 de Chaumont-photo-sur-Loire, le Centre d’art et de nature de Chaumont-sur-Loire invite cinq artistes ou duo d’artistes autour de l’idée de paysage. Une promenade en naturel et artificiel, construction et déconstruction.

La quatrième édition du festival de photographie du Centre d’art et de nature de Chaumont-sur-Loire regroupe des artistes qui font le lien entre plusieurs mondes, plusieurs formes artistiques : Tania Mouraud, Raymond Depardon, Edward Burtynsky, Pascal Convert et le duo Clark et Pougnaud. Tous partagent leur vision du paysage et une question traverse leur travail : comment le paysage se construit-il ?

Qu’est-ce que le paysage ? Une étendue spatiale, délimitée par un point de vue, et dont les éléments présentent une certaine unité. On peut donc parler de paysage naturel, urbain ou même industriel, bien que cette notion soit généralement associée à la nature. Le mot nous évoque souvent une image champêtre héritée du XIXème siècle, où la présence humaine n’est que secondaire. Mais cette idée romantique de la nature vierge de toute trace humaine n’est qu’un leurre : depuis l’apparition de l’agriculture, l’homme modèle le paysage pour l’adapter à son activité. Les champs, les forêts, les montagnes, presque partout la nature porte la marque plus ou moins profonde de l’homme.

Les photos de la ferme familiale de Raymond Depardon dans sa série La ferme du Garet de 1984 montrent ce rapport de domestication de la nature par l’homme, dans sa forme la plus ancienne. Ici, le paysage est cultivé, les espèces sélectionnées, la nature unifiée. Le soleil dore les blés et les pierres de la ferme et le temps se fige dans une image documentaire et intime. Cette nature, la campagne, bien qu’artificielle, représente pour la majorité d’entre nous l’archétype de la nature « naturelle », donc l’archétype du paysage.

Pascal Convert est également parti d’une démarche documentaire pour sa série Les 1000 yeux de la falaise de Bâmiyân. L’objectif à la fois scientifique et artistique de son voyage en Afghanistan en 2016 se lit dans les différentes images. Celles de la falaise aux bouddhas détruits par les talibans en ultra HD montrées au Louvre Lens et au musée Guimet font face à celles prises depuis les grottes des moines et ermites creusées autour des bouddhas. La montagne est cadrée par les arches de pierre que l’homme a façonnées dans une démarche spirituelle, jouxtant la plaie ouverte des statues arrachées aux explosifs. Et entre falaise et montagnes, les enfants jouent au foot dans le film de Pascal Convert.

Avec ses photos extraites des séries Water et Anthropocène, Edward Burtynsky nous montre des paysages ambigus. Toutes les images, de paysages que l’on croirait sauvages, sont en fait le résultat d’une exploitation humaine intense et de la pollution qui en résulte. Les photographies sont des vues aériennes aux formes et aux couleurs fascinantes. Les rivières se découpent en turquoise chimique sur la terre sombre, les carrières dessinent des formes abstraites et la poussière avale le paysage, donnant des images très picturales. Mais cette beauté cache des paysages blessés, des catastrophes écologiques, une nature de moins en moins propice à la vie.

Cette double lecture de l’image, entre beauté et douleur, nous la retrouvons également chez Tania Mouraud. Sa série Balafres transforme les exploitations de lignite et la terre éventrée en tableaux abstraits, tout comme les quatre autres séries présentées recomposent le paysage pour lui donner un autre niveau de lecture. Ici, les ballots de paille pourrissante deviennent des architectures en ruine, là l’eau d’un marécage canadien se transforme en marée noire, et plus loin le plastique entourant les meules de foin déforme le paysage dans une réfection liquide. L’homme modifie le paysage, et l’artiste le transforme par son regard et sa construction poétique de l’image.

Le travail de Clark et Pougnaud nous amène un cran plus loin dans la construction du paysage. Avec leur série Eden, les deux artistes travaillent dans un studio ouvert et mélangent artificiel et naturel dans des images aux limites troubles. Ils disposent des éléments provenant de leur ferme devant un fond peint et laissent entrer dans leurs compositions des touches d’imprévisible tels que des insectes. Ici, le paysage devient une nature morte, sans personnages mais portant partout la marque de l’humain. La nature est artificielle, construite comme un tableau.

Si le paysage se construit par un point de vue, les artistes présentés à Chaumont, au milieu d’un jardin soigneusement travaillé, composent une image d’une nature construite par l’homme, dans une mise en abyme qui nous interroge sur l’art, la nature et l’écologie et leurs multiples liens à reconstruire.

Chaumont-photo-sur-Loire
Du 20 novembre 2021 au 27 février 2022
Centre d’art et de nature – Chaumont-sur-Loire

Visuels : 1- Edward Burtynsky, Olfusa River #1, Iceland, 2012© Edward Burtynsky, courtesy Nicholas Metivier Gallery, Toronto / 2- Pascal Convert, Les 1000 yeux de la falaise de Bâmiyân – Chaumont-Photo-sur-Loire 2021, Falaise de Bâmiyân, Intérieur Grotte 5 © Pascal Convert / 3- Raymond Depardon, La ferme du Garet © Raymond Depardon / 4- Tania Mouraud, Balafres 707-708, 2015-16 – Encres pigmentaires sur papier Fine Art, 100 x 192 cm 5 + 2 A.P.- Collection de l’artiste © Tania Mouraud, Adagp, Paris, 2021 / 5- Clark et Pougnaud, Grenades, 2018 – Tirage jet d’encre sur papier Hahnemüle, 60 x 80 cm © Clark et Pougnaud, Adagp, Paris, 2021

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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