Expos

Aux origines de Paul Klee

24 November 2021 | PAR Laetitia Larralde

Cet hiver, le LaM met Paul Klee à l’honneur avec une exposition monographique qui interroge son œuvre par le prisme de sa recherche des origines de l’art. Un parcours en quatre étapes et cent vingt œuvres aux sources de la création de Paul Klee.

 

Très tôt, Paul Klee se rend compte de l’inadéquation de l’art classique et de ses canons à son époque. Sa déception suite à ses études à l’Académie des Beaux-Arts de Munich et à son voyage en Italie le pousse à vouloir réformer la peinture pour sortir de l’académisme, et trouver une forme de création neuve et en accord avec la modernité de l’époque. Comme de nombreux artistes des avant-gardes, il se tourne donc vers la recherche des origines de l’art, la source originelle génératrice de toute forme de création.

Mais jusqu’où remonte-t-on pour trouver ces origines ? L’exposition en met quatre en lumière, où l’origine a des connotations différentes, qui ont été de grandes sources d’inspiration pour Paul Klee. La première origine présentée ici, Klee la cherche dans l’art asilaire, appelé aujourd’hui Art Brut. Il y a certainement été sensibilisé par l’ouvrage du psychiatre Hans Prinzhorn, Les expressions de la folie, qui interroge la nature de la création par l’étude des œuvres de ses patients. Ceux-ci, complètement libérés des contraintes de la société, font preuve d’un instinct créatif primal, un état auquel Paul Klee rêvait d’accéder.

Nous abordons ensuite la seconde source, celle de l’art extra-européen, appelé alors « art nègre » ou « art primitif ». Les commissaires ont fait attention à retranscrire le contexte colonialiste et la fascination pour « l’exotisme » de l’époque, et recensent les nombreux livres sur les arts africains et asiatiques présents dans la bibliothèque de Klee, avec un intérêt marqué pour l’Egypte et la Tunisie. Comme pour ses contemporains, il fait passer au second plan l’histoire ou l’usage des objets et œuvres pour ne conserver que l’aspect esthétique. Bien que Klee ait questionné les notions de primitivisme et de hiérarchisation des peuples et des arts, la situation actuelle souligne à quel point il est problématique de considérer toute production extra-occidentale comme l’origine non évoluée de l’art occidental.

Les hiéroglyphes égyptiens s’associent dans l’esprit de Klee aux peintures pariétales, les deux étant une forme de langage dessiné. La préhistoire nous ramène aux origines de l’humanité, ce qui s’oppose aux conceptions catholiques de la création du monde. Les découvertes archéologiques de la fin du XIXème siècle, et surtout celles des grottes, fascinent de nombreux artistes et remuent la société. La simplification des formes et l’importance de la ligne dans l’art préhistorique se retrouvent dans la recherche de Paul Klee du signe universel, de la forme identifiable et communicante à travers les cultures.

Enfin, la dernière source originelle est celle de l’art des enfants. Klee avait présenté ses propres dessins d’enfance mélangés à ses œuvres d’adulte, et admirait également les dessins de son fils Felix. Il en apprécie le regard ingénu sur le monde, dénué encore de préconceptions sociales et à la liberté stylistique équivalente à celle de l’art des fous. On y retrouve également la dominance de la ligne et l’importance de la couleur. Mais Klee ne veut pas à singer les dessins des enfants, au contraire : il recherche consciemment à aller à l’essentiel de la forme, contrairement à la spontanéité enfantine. Il reste en retrait par rapport à l’objet de son inspiration pour mieux en extraire les composantes de sa modernité.

Réalisée avec le Zentrum Paul Klee de Bern, cette exposition a été l’occasion de mener des recherches approfondies dans les archives de Paul Klee. Les hypothèses selon lesquelles il avait étudié les sujets dont on trouve les traces dans ses œuvres trouvent alors des preuves factuelles dans une somme colossale de documents variés conservés au Zentrum Paul Klee. L’exposition met en avant ce travail de recherche documentaire et permet de poser un contexte à sa création, son regard par rapport à celui de ses contemporains. Chacun des quatre grands thèmes est donc abordé par le principe scénographique d’un îlot central présentant les documents et la chronologie en lien avec le sujet, entouré d’une sélection d’œuvres illustrant le propos.

Mais on remarque que nombre d’œuvres ne se rattachent pas uniquement à une source d’inspiration unique, qu’elles pourraient être accrochées dans une autre salle. En effet, Klee ne cherche pas à transcrire littéralement l’objet de son étude dans son travail. Il veut transposer la technique originelle dans sa propre technique. Il se l’approprie ainsi totalement et chacune de ses influences vient s’ajouter aux précédentes pour former un tout cohérent infusé d’une multiplicité de références. L’œuvre de Klee emprunte de plusieurs mondes, tel l’artiste lui-même, électron libre toujours au cœur de la modernité de son époque, mais ne faisant jamais ce à quoi on s’attendrait.

Cette exposition nous rappelle, outre le talent et l’implication totale de Paul Klee vis-à-vis de l’art, qu’un artiste est la somme de toutes ses influences, de la plus triviale à la plus conceptuelle. Et donc, tout peut être source d’art.

 

Paul Klee, entre-mondes
Du 19 novembre 2021 au 27 février 2022
LaM – Villeneuve d’Ascq

 

Visuels : 1- Paul Klee, Garten-Plan (Plan de jardin), 1922, 150. Aquarelle et plume sur papier sur carton ; 26,6 x 33,5 cm. Collection privée en dépôt au Zentrum Paul Klee, Bern. Photo : © Zentrum Paul Klee, Bern, Image Archive / 2-Paul Klee, Bastard (Bâtard), 1939, 1132. Couleur à la colle, huile et tempera sur toile de jute ; 60,5 x 70 cm. Donation Livia Klee, Zentrum Paul Klee, Bern. Photo : © Zentrum Paul Klee, Bern, Image Archive / 3-Paul Klee, Büste eines Kindes (Buste d’un enfant), 1933, 380. Aquarelle sur coton sur contreplaqué ; 50,8 x 50,8 cm. Zentrum Paul Klee, Bern. Photo : © Zentrum Paul Klee, Bern, Image Archive / 4-Paul Klee, Die Schlangengöttin und ihr Feind (La déesse-serpent et son ennemi), 1940, 317. Couleur à la colle sur papier sur carton ; 29,6 x 42 cm. Collection privée en dépôt au Zentrum Paul Klee, Bern. Photo : © Zentrum Paul Klee, Bern, Image Archive / 5-Paul Klee, Abend im Tal (Le soir, dans la vallée), 1932, 187. Huile sur carton ; 33,5 x 23,3 cm. Collection particulière, en dépôt au Zentrum Paul Klee, Bern. Photo : © Zentrum Paul Klee, Bern, Image Archive

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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