Expos

“A table”, ode à l’art de vivre à la française

13 January 2021 | PAR Laetitia Larralde

Sèvres – Manufacture et musée nationaux propose de nous pencher sur l’histoire croisée de la gastronomie et de l’art de la table français. Si pour le moment la découverte de l’exposition reste virtuelle, c’est malgré tout l’occasion de replonger dans nos nombreux souvenirs de repas partagés en bonne compagnie.

La gastronomie est une passion française. Aller au restaurant entre amis, fêter un évènement en famille avec d’un bon repas ou mener des négociations autour d’une table, ce rituel est si profondément ancré dans notre culture que l’UNESCO a classé le repas gastronomique français patrimoine immatériel de l’humanité il y a dix ans. Et ce rite très élaboré englobe la nourriture, sa préparation, la manière de la servir et de la consommer, la conversation qui accompagne le repas ou encore la manière de dresser la table, de la vaisselle aux décorations. Un sujet si vaste que Sèvres – Manufacture et Musée nationaux et le musée national Adrien Dubouché de Limoges ont conçu de concert une exposition très complète qui puise au sein des trésors de leurs collections, augmentés de prêts des Arts Décoratifs, Christofle et Saint-Louis.

Le parcours chronologique met en scène l’évolution du repas français, de l’Antiquité à nos jours, au travers de 1000 œuvres. Pensé comme un repas de fête, où chaque époque est un plat suivi d’un entremet sous forme de focus sur différents aspects du sujet. On s’attarde sur le sel, le vin ou la pâtisserie, des éléments faisant aujourd’hui tellement partie intégrante de l’idée de repas que cette mise en perspective historique leur redonne un relief inattendu.

Mais comment transmettre ce qui par essence est éphémère, un instant partagé autour de mets périssables ? L’exposition s’appuie sur des gravures, peintures ou photographies qui permettent de mettre en scène les objets de la gastronomie. Si l’on s’attend à trouver des assiettes, des verres et des couverts (la table dressée avec le magnifique service Pimprenelle est éblouissante), l’exposition donne aussi à voir tous les plats de service et de présentation, les accessoires de préparation, et de nombreux objets insolites. Et ces objets révèlent des usages et des modes, telle que l’aquamanile moyenâgeux, sorte de robinet portable pour se laver les mains, les terrines en trompe l’œil en forme de laitue, dindon ou sanglier, ou le fou dansant qui, dans les années 1930, servait à débuller le champagne.

Parmi ces objets dont l’usage se fait de plus en plus précis au fur et à mesure que le nombre d’accessoires augmente (imaginez le casse-tête des fourchettes à viande, à poisson, à salade ou à dessert appliqué à tous les arts de la table), se trouvent certains dont on ne se sert plus aujourd’hui. On pense notamment à ces petites tasses à glace accompagnant les glacières en porcelaine, premiers contenants présentant une certaine isolation pour conserver les desserts glacés particulièrement en vogue au XVIIIème siècle. Ces tasses, que l’on pourrait confondre avec une tasse à café, servaient à la fois de coupe et de cornet, et ont disparu au XIXème siècle. Nombreux sont les aliments comme la glace à avoir suivi la même trajectoire : d’abord coûteux et réservés à une élite, la production s’est ensuite simplifiée et a entraîné une démocratisation, ainsi qu’une variation dans sa façon d’être consommé. Un parallèle se fait avec le repas gastronomique lui-même, qui n’est plus réservé uniquement aux banquets des élites, chacun pouvant se procurer les livres de recettes des grands chefs et reproduire ces repas à son échelle.

Le premier confinement a vu les rayons de farine dévalisés, tant ont été nombreux ceux qui se sont lancés dans la fabrication de pain et les ateliers pâtisserie avec les enfants. Quand aller faire les courses était la seule sortie de la semaine pour beaucoup, la nourriture s’est imposée dans sa place centrale, comme occupation quotidienne incontournable. Bien que l’on puisse maintenant commander à emporter dans ses restaurants préférés, il manque malgré tout un aspect essentiel du repas à la française : la convivialité. Autrefois banquets allongés du temps des Gaulois, buffets en extérieurs à la cour de Louis XIV, puis les dîners assis menant à l’apparition de la salle à manger à la fin du XVIIIème siècle, tous ces grands repas avaient un aspect festif, où l’échange et la conversation étaient des éléments cruciaux. Au point que l’on ornait les tables d’éléments décoratifs tels que le très beau surtout du Jeu de l’écharpe, afin d’alimenter les conversations.

Placée sous le patronage de Pierre Hermé, l’exposition s’intéresse également à l’évolution du statut du cuisinier. Aujourd’hui certains chefs sont de vraies stars, et le XVIIème siècle, à l’avènement de la grande gastronomie, s’est demandé s’ils n’étaient pas à considérer comme des artistes. Il ne faudrait pas oublier tous les cuisiniers et cuisinières du quotidien qui ont transmis leurs recettes de famille aux enfants, dans un mélange de gestes, saveurs et livres de cuisine.
Ces cuisiniers sont des ambassadeurs du savoir-faire français, au même titre que ces services issus des manufactures françaises, Sèvres notamment. Si le musée regroupe 50 000 œuvres, il en compte 250 000 en dépôt dans les institutions françaises du monde entier. L’Elysée continue à faire appel à la manufacture de Sèvres pour la vaisselle utilisée pendant les réceptions officielles, tout en s’adaptant aux goûts de l’époque, comme le démontre le service Bleu Elysée, sobre et moderne, qui assemblé dans le bon ordre dessine le plan du palais de l’Elysée.

En attendant que les musées aient enfin le droit de rouvrir leurs portes, vous pouvez découvrir l’exposition au travers du très beau catalogue et de la programmation virtuelle sur les réseaux sociaux imaginée par l’agence Alimentation générale. Les commissaires y présentent des œuvres, des personnalités parlent gastronomie, chacun peut partager ses recettes, et vous pourrez également suivre un cycle de visioconférences.

A table nous invite à replonger dans nos souvenirs où la nourriture s’entremêle intimement avec les grands moments de notre vie et à repenser au rôle majeur de lien entre les gens que le repas tient depuis toujours. Aujourd’hui que nous sommes privés de restaurants et de grands repas de famille, il est essentiel de prendre la mesure de ce que nous avons perdu. Tout comme aller au musée nous permet d’avoir ces conversations profondément ancrées dans notre culture pendant ces mêmes repas.

A table, le repas tout un art
Date d’ouverture incertaine – 6 juin 2021
Sèvres – Manufacture et musée nationaux
Instagram et Facebook : @sevresmanufactureetmusee

Le catalogue A table, le repas tout un art, sous la direction de Anaïs Boucher & Viviane Mesqui,  240 pages, 39€, Editions Gourcuff Gradenigo, est disponible ici

Visuels : 1- Illustration de l’exposition, 2020, Nicolas Buffe © Nicolas Buffe / 2- Évocation d’une table dressée à l’Élysée autour de 1900, avec le surtout en porcelaine de Sèvres, intitulé Le Jeu de l’écharpe, et conçu par Agathon Léonard ; les assiettes aux différents décors du service Pimprenelle produits par la manufacture de Sèvres pour l’Élysée ; les verres de la collection Massenet de la cristallerie Saint-Louis ; des couverts du modèle Albi par la maison Christofle – Photo © Pascal Rostain / Sèvres – Manufacture et Musée nationaux / 3- Terrine en forme de dindon, 1748-1754, faïence stannifère, Manufacture de Paul Hannong, Strasbourg H : 51,5 cm, L : 46 cm, l : 38,5 cm, Sèvres – Manufacture et Musée nationaux – Photo © RMN-Grand Palais (Sèvres – Manufacture et musée nationaux) / Tony Querrec / 4- Évocation d’une table à dessert de la fin du 18e siècle, composée notamment d’un service en porcelaine de Sèvres et de figures sculptées en biscuit de porcelaine de Sèvres – Photo © Pascal Rostain / Sèvres – Manufacture et Musée nationaux / 5- Tasse enfoncée et soucoupe, 1769, porcelaine tendre, Manufacture royale de Sèvres, H : 13,5 cm, Ø : 15,5 cm, Sèvres – Manufacture et Musée nationaux, Photo © Hervé Lewandowski / Sèvres – Manufacture et Musée nationaux / 6- Assiette plate Diane, 1972, porcelaine dure, Manufacture nationale de Sèvres, Étienne Hajdu, Ø : 22,7 cm, Sèvres – Manufacture et Musée nationaux, Photo © RMN-Grand Palais (Sèvres – Manufacture et musée nationaux) / Martine Beck-Coppola

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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