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Quand les sourires de Matt Loughrey idéalisent et subliment les victimes du génocide khmer

Quand les sourires de Matt Loughrey idéalisent et subliment les victimes du génocide khmer

17 April 2021 | PAR Camille Bois Martin

Le projet Matt Loughrey…

L’artiste irlandais souhaitait, à travers son projet de manipulation de ces photographies en noir et blanc, rendre leur humanité aux victimes auxquelles les khmers rouges ont enlevé la vie à la fin des années 1970 au Cambodge. Le projet était, à l’origine, de coloriser et “numériser” ces images afin de les rendre plus réelles, d’honorer et raviver leur mémoire. Par leur qualité presque semblable à nos objectifs contemporains, les visages de ces victimes semblaient alors être plus ancrés dans notre présent et ne pas être qu’un souvenir.

Pourtant, le résultat final publié au sein du magazine Vice donne à voir des hommes et des femmes souriants, oblitérant presque la triste destinée à laquelle ces derniers ont pourtant été condamnés. 

…Dépublié du magazine Vice

Selon les éditeurs de Vice, ces sourires avaient été présentés par l’artiste au magazine comme réels pour la plupart, plaidant la nervosité des victimes photographiées, notamment des femmes. Peu convaincu par les justifications finalement hésitantes de Matt Loughrey après la publication de son projet, Vice a décidé de retirer son article, en laissant à la place un Editorial Statement justifiant leur choix. 

Malgré tout, les internautes du monde entier restent pour la plupart choqués du projet de l’artiste ; c’est également le cas du Ministère de la Culture du Cambodge qui désapprouve gravement ces photographies manipulées.

La mémoire est-elle immuable ?

Entre 1975 et 1979, ce sont environ deux millions de Cambodgiens qui été assassinées par la dictature de khmers rouges. Plusieurs milliers de victimes de la prison de Tuoel Sleng ont été photographiées avant d’être exécutées ; traces traumatiques du passé, le temps semble les avoir figées sur fond de noir et blanc, presque loin de notre réalité.

Alors, si le projet de Matt Loughrey entendait prolonger la vie que ces condamnés n’ont jamais pu mener, notre devoir de mémoire y appose ses limites. Revisiter notre passé demande une certaine solennité que ces sourires ne semblent pas impliquer… Ces visages, republiés dans de nombreux articles et sur les réseaux sociaux après la polémique, ont resurgi de l’histoire dans laquelle ils étaient restés enfouis ; pourtant, même si l’on cherche à protéger leur mémoire, celle-ci s’oublie derrière les nombreuses questions de sa représentation (une photographie manipulée, par exemple). 

 

Visuel d’en-tête : © “Female Interrogators” by waterboardingdotorg is licensed under CC BY 2.0

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Camille Bois Martin
Étudiante en Master de Journalisme Culturel (Sorbonne Nouvelle)

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