Marc Lainé : “Notre programmation est prête. Et nous allons la maintenir telle que nous l’avons rêvée”
Pendant le confinement, nous avons interrogé des artistes sur le moment présent. Aujourd’hui, nous regardons l’avenir, nous nous demandons comment les directeurs et directrices de lieux voient le retour “à la normale” ? Marc Lainé est scénographe, metteur en scène et il dirige La Comédie de Valence, lieu qui était en travaux avant le début du Covid.
Comme pas mal de lieux, vous avez à la Comédie de Valence lancé un projet pendant le confinement : Notre Grande Évasion, racontez-moi comment ça s’est fini ?
Ce n’est pas vraiment fini…
La singularité du projet Notre Grande Évasion tenait plus particulièrement à la dimension participative de certaines propositions. Celles-ci avaient été conçues dans le contexte inédit et anxiogène du confinement. Nous voulions résister à cet isolement imposé en lui opposant des formes artistiques qui recréent du lien entre les artistes et les spectateurs et qui ouvrent des perspectives communes. C’était un acte engagé, presque citoyen de la part des artistes de l’Ensemble pluridisciplinaire de la Comédie de Valence.
La période de confinement terminée, il semblait cohérent d’un point de vue conceptuel et artistique que ces œuvres contextuelles s’achèvent elles aussi.
Pourtant, il nous a semblé légitime et même nécessaire de poursuivre certains projets comme le Carnet d’un voyage immobile par exemple, porté par Stephan Zimmerli. On va le proposer à des publics qui restent « empêchés » dans les hôpitaux ou les ehpad…
Par ailleurs, le projet Notre Grande Évasion nous a permis d’affirmer déjà, malgré tout, envers et contre tout, les deux grands axes de mon nouveau projet pour la Comédie de Valence : la transdisciplinarité et la création participative. Par défi, ou simplement parce que notre enthousiasme est inaltérable, je pourrais dire que tout a commencé pendant cette crise et que tout va continuer.
Mais les projets ne permettent pas de remplir le vide. Qu’en est-il de l’avenir. Avez vous commencé à penser la programmation 2020/21 ?
Bien sûr. Notre programmation est prête. Et nous allons la maintenir telle que nous l’avons rêvée, tout simplement parce que c’est un engagement que nous prenons ainsi vis à vis des artistes et des projets que nous voulons défendre. Cette programmation, c’est un horizon commun. On ne peut pas le sacrifier. Ce que nous a enseigné cette crise sanitaire, c’est qu’on ne peut rien prévoir, rien anticiper. Et que si nous devons être « réactif » (quel mot affreux), ce n’est pas avec six mois d’avance, mais quasiment du jour au lendemain.
Je crois que nous saurons, nous et les artistes de la saison, nous « adapter » (là encore, quel mot affreux.) aux circonstances inédites que cette crise pourraient encore de générer. Là encore, je veux affirmer un enthousiasme qu’il me semble crucial de préserver aujourd’hui. Je peux d’autant plus l’affirmer que notre saison nous le permet : la plupart des spectacles que nous avions prévu d’accueillir, mais aussi nos trois premières créations semblent aujourd’hui pouvoir supporter les contraintes techniques et sanitaires que l’on risque de se voir imposer. Ce seront pour la plupart des propositions en extérieur, ou des formes légères et itinérantes conçues pour des petites jauges. D’autres enfin seront des projets participatifs qui se déploieront in situ partout sur le territoire et qui nous permettront donc de tisser des liens avec la population. Cela tient pour une part au fait que notre grande salle était en travaux, mais aussi, encore une fois à la nature même du nouveau projet de la Comédie de Valence.
Pas compromis de artistiques ?
Pas de compromis artistique à priori, donc. Mais, si jamais la situation était encore pire que ce que nous prévoyons déjà, c’est dans un dialogue avec les équipes accueillies que nous pourrions inventer et improviser des formes spécifiques. Certains des artistes de la saison ont la capacité de produire des propositions performatives qui préserveraient toute la radicalité et l’originalité de leurs démarches respectives.
Je vois votre direction comme une constellation, quels rôles ont les artistes associés à la Comédie en ce moment ?
C’est une constellation, oui. Chacun d’eux a une forme de « responsabilité éditoriale » au sein du projet… Alice Zeniter va par exemple programmer des soirées croisant littérature et musique actuelle, Penda Diouf pilote le dispositif de résidence pratique que l’on va mettre en place pour les auteurs, etc. Au fond, ce que tous ses artistes ont en commun, c’est que ce sont des touche-à-tout. Mais des touche-à-tout surdoués. Bertrand Belin est à la fois musicien, écrivain et acteur. Stephan Zimmerli est scénographe, dessinateur (on réalisera un roman graphique ensemble la saison prochaine, ce sera ma première création en tant que directeur de CDN) et musicien au sein des Moriarty… Ils explosent les cases, tous. C’est peut-être au fond notre vrai projet, « exploser les cases » dans lesquelles on veut nous ranger. Et je crois que c’est avec ce genre d’artistes que l’on peut aller à la rencontre du public le plus large.
La Comédie de Valence est-elle en souffrance financière ?
Pour le moment, pas de façon dramatique. Ce serait malhonnête de prétendre le contraire. Nous avons été responsables et nous avons été soutenus. Nous sommes chanceux. D’autres sont beaucoup plus impactés. Et il va falloir continuer d’être solidaires pour préserver l’écosystème culturel. Il faut toujours affirmer la chance que nous avons en France. Redire à quel point le service public culturel français est unique, c’est aussi une manière de le défendre contre toutes les menaces politiques bien réelles qui pèsent sur lui. En revanche nous serons en souffrance financière, et gravement, si nos tutelles coupent dans nos subventions dans les années à venir. Et avec le choc qu’elles viennent de subir, c’est plus que possible. À nous de leur rappeler que nous serons indispensables dans la phase de reconstruction du « vivre ensemble » que nous allons devoir mener avec elles.
Comment avez-vous réagi à la décision d’ouverture du Puy du Fou ?
Tout a été dit. Je n’ai plus vraiment de commentaire à ajouter sur cette décision difficilement compréhensible. Trop manifester notre indignation finit par créer une confusion dans l’esprit du public. En criant : « Pourquoi eux et pas nous ! C’est absurde ! », les gens finissent par confondre l’engagement artistique et citoyen que l’on déploie dans les théâtres subventionnés (et ailleurs) avec ce qui se fait dans ces parcs d’attractions, cela dit sans aucun jugement puisque précisément, ce n’est pas comparable… On peut juste espérer que ça augure du fait que l’on pourra nous aussi bientôt accueillir du public.
Et concernant vos projets d’artistes, que ce passe t’il ? Notamment pour Nosztalgia Express qui doit être créé au CDN de Rouen le 19 janvier 2021 ?
Je dirais d’abord que le projet que je porte pour le CDN est un projet d’artiste à part entière. En tout cas, c’est le prolongement d’un geste artistique personnel et radical. Dans l’idéal, on ne devrait pas faire de distinction entre l’artiste et le directeur. Quand on dirige un CDN, chaque décision devrait participer du projet artistique et être en cohérence avec celui-ci.
En ce qui concerne Nosztalgia Express, qui sera en quelque sorte ma dernière création en tant que directeur de compagnie (la production s’était montée avant ma nomination), eh bien malheureusement, le covid a fait que je ne pourrais pas présenter ce spectacle à Valence la saison prochaine. Le retard des travaux dans la grande salle nous en empêche.
Mais j’irais à la rencontre du public Valentinois en tant qu’auteur-metteur en scène avec La Chambre Désaccordée et Vanishing Point.
Visuel : ©Julien Pebrel