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Le sacrifice de la Pussy Riot Nadejda Tolokonnikova pour l’avancée des Droits de l’Homme en Russie

Le sacrifice de la Pussy Riot Nadejda Tolokonnikova pour l’avancée des Droits de l’Homme en Russie

01 October 2013 | PAR Charlotte Dronier

« Ce lundi 23 septembre, j’entame une grève de la faim. C’est une méthode extrême, mais je suis absolument certaine que, dans la situation où je me trouve, c’est la seule solution. » écrit Nadejda Tolokonnikova, jeune femme russe de 23 ans, dans sa lettre ouverte adressée à la presse. Membre du groupe Pussy Riot, elle est condamnée depuis Août 2012 à une peine de deux ans dans le camp de travail n°14, le plus redoutable de Mordovie, pour avoir chanté une « prière punk » à l’encontre du président Vladimir Poutine au sein de la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou.


Dans cette missive où elle exige le respect du Code du travail et la dignité humaine, Nadejda Tolokonnikova décrit les conditions quotidiennes de détention et de labeur proches de l’esclavagisme du goulag soviétique, ramenant les détenues parfois privées de leurs besoins naturels à leur bestialité primitive. Menacée de mort suite à ses déclarations et restée sans eau potable, l’ancienne étudiante en philosophie et mère d’une enfant de cinq ans a été placée en cellule d’isolement, puis transférée à l’infirmerie dans un état de santé fortement préoccupant. Elle demeure désormais hospitalisée dans le centre de Barachevo affilié à l’administration pénitentiaire. La défense et son mari, Piotr Verzilov, restent depuis Jeudi sans nouvelles directes de la part de la jeune femme, à qui tout contact extérieur est totalement interdit.

Que l’on comprenne et cautionne ou non les agissements des punks Pussy Riot, personne ne doit rester indifférent lorsque les Droits de l’Homme sont bafoués. Le long travail de mémoire intergénérationnel au sujet des atrocités durant les guerres, les dictatures, les censures, les nombreux procès, les romans et les films produits, les organismes et journalistes qui disparaissent pour dénoncer les tortures physiques et morales sont pourtant presque devenus des lieux-communs. Bien sûr il y a la crise européenne, les préoccupations, les impératifs et les intérêts nationaux. Seulement, dans des contrées peu éloignées de nos frontières, de pareilles violences perdurent encore et cette impunité naît du silence. Au péril de sa vie, la voix russe de Nadejda Tolokonnikova se joint donc aux côtés de celles du reste du monde afin de nous alerter sur la détresse que vivent des milliers d’individus sous le joug d’autorités officielles cruelles et arbitraires.
Selon son témoignage, les femmes emprisonnées sont forcées de travailler quotidiennement pendant dix-sept heures en ayant droit à moins de quatre heures de sommeil et ne bénéficiant que d’un jour de repos toutes les six semaines. « Tes mains ont beau être couvertes de piqûres d’aiguilles, d’égratignures, il y a du sang partout sur la table, mais tu essaies quand même de coudre.» La perversité hiérarchique est telle que certaines détenues occupent elles-mêmes les fonctions de chef d’équipe ou de responsable d’unité et se chargent ainsi de « briser la volonté des filles, de les terroriser et de les transformer en esclaves muettes » par des violences morale et physique.
Les punitions aléatoires et humiliantes se déclinent afin de faire régner la soumission et disparaître toute notion de libre-arbitre et d’existence de soi: « Il y a une femme à qui on a amputé un pied et tous les doigts des mains : on l’avait forcée à passer une journée entière dans la cour, ses pieds et ses mains avaient gelés. (…) Dans une autre unité, les nouvelles couturières, qui n’arrivaient pas à remplir la norme, ont été forcées de se déshabiller et de travailler nues. (…) Obsédée par le sommeil, rêvant juste d’une gorgée de thé, la prisonnière exténuée, harcelée, sale devient un matériau docile à la merci de l’administration, qui ne voit en nous qu’une main-d’œuvre gratuite. En juin 2013, mon salaire était de 29 roubles (moins d’un euro), alors que la brigade produisait 150 uniformes de policier par jour. Où passe le produit de la vente de ces uniformes?»
Les « marchands de sueur » (c’est ainsi qu’elles ont surnommé les autorités) font disparaître toute preuve de ces horreurs, confisquant journaux intimes et falsifiant les raisons réelles de décès. Afin de dissuader et d’étouffer toute plainte des incarcérées qui filtrerait les murs, l’administration opprime aussi bien à échelle collective pour susciter la haine et la stigmatisation. Plus encore, l’individualité de ces femmes est niée jusqu’à ce qu’elles deviennent du bétail: « Les conditions sanitaires à la colonie sont pensées pour que le détenu se sente comme un animal sale et impuissant. (…) Dans le ”local sanitaire commun”, c’est la bousculade permanente, et les filles, armées de bassines, essaient de se laver au plus vite quitte à se grimper les unes sur les autres. Nous avons le droit de nous laver les cheveux une fois par semaine. Mais même cette ”journée de bain” est parfois annulée. (…) Il est arrivé qu’une unité ne puisse pas se laver pendant deux ou trois semaines. (…) Quand un tuyau est bouché, l’urine reflue depuis les sanitaires vers les dortoirs et les excréments remontent par grappes. (…) La buanderie, c’est une petite pièce avec trois robinets d’où coule un mince filet d’eau froide. (…) On ne donne aux détenues que du pain dur, du lait généreusement coupé d’eau, des céréales toujours rances et des pommes de terre pourries.»

Tatiana Lokchina, membre de l’organisation non gouvernementale Human Right Watch a reconnu dans un communiqué les conditions de vies décrites par Nadejda Tolokonnikova comme étant « extrêmement sérieuses et préoccupantes. Les autorités doivent enquêter immédiatement. » Elle a également appelé à la libération de la jeune femme, même si aucune anticipation ne peut être acceptée puisqu’elle refuse de se reconnaître coupable, tout comme l’autre Pussy Riot Maria Alekhina.
Dans le mutisme du Ministère de la justice russe malgré une indignation médiatique internationale, leur détention ne devrait donc s’achever qu’en Mars 2014, sauf si la radicalité de l’action de Nadejda Tolokonnikova parvient à mobiliser de fortes pressions politiques étrangères en faveur de leur condition et, à plus grande échelle, des mesures tangibles pour imposer le respect de la dignité humaine là où il n’y est toujours pas…

Parmi les traductions disponibles de la lettre dans son intégralité, la version du spécialiste André Markowicz est publiée dans Rue89: http://www.rue89.com/2013/09/27/lisez-texte-lisez-lettre-mordovie-dun-pussy-riot-detenue-camp-travail-246131

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Charlotte Dronier
Diplomée d'un Master en Culture et Médias, ses activités professionnelles à Paris ont pour coeur la rédaction, la médiation et la communication. Ses mémoires ayant questionné la critique d'art au sein de la presse actuelle puis le mouvement chorégraphique à l'écran, Charlotte débute une thèse à Montréal à partir de janvier 2016. Elle porte sur l'aura de la présence d'un corps qui danse à l'ère du numérique, avec tous les enjeux intermédiatiques et la promesse d'ubiquité impliqués. Collaboratrice d'artistes en freelance et membre de l'équipe du festival Air d'Islande de 2009 à 2012, elle intègre Toutelaculture.com en 2011. Privilégiant la forme des articles de fond, Charlotte souhaite suggérer des clefs de compréhension aux lecteurs afin qu'ils puissent découvrir ses thèmes et artistes de prédilection au delà de leurs actualités culturelles.

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