Classique
Marin Alsop, Gabriela Montero et le RSO Wien galvanisent la Philharmonie de Paris

Marin Alsop, Gabriela Montero et le RSO Wien galvanisent la Philharmonie de Paris

22 March 2023 | PAR Hannah Starman

Ce lundi 20 mars, devant une salle Boulez presque comble, la cheffe d’orchestre américaine, Marin Alsop, la pianiste vénézuélienne, Gabriela Montero, et l’Orchestre symphonique de la Radio de Vienne, déroulent un programme aux parfums de Mitteleuropa : le Concerto pour piano n°24 de Mozart et la Symphonie n°7 de Dvorák avec, en ouverture, la création française de Heliosis de la compositrice autrichienne Hannah Eisendle. Entre le charme feutré du RSO, le feu d’Eisendle, l’improvisation pétulante de Montero et le showmanship magistral d’Alsop, la soirée sera autrement grisante que le programme aussi classique laissait présager.

Création française de Heliosis de Hannah Eisendle

Le concert ouvre avec la création française de Heliosis, une composition de sept minutes que Hannah Eisendle écrit en 2021 à la demande du RSO Wien qui créera l’œuvre en mars 2022 sous la direction de Marin Alsop. Née à Vienne en 1993 et considérée comme un des talents à suivre dans les années à venir, Hannah Eisendle est compositrice, cheffe d’orchestre et pianiste. Elle décrit sa composition Heliosis – le terme grec pour insolation – comme l’évocation d’une canicule suffocante et étourdissante d’un été “sale, étouffant, poisseux comme de la suie”. La musique transcrit l’idée d’une chaleur désertique, brûlante, avec les sons extrêmement aigus des cordes et des percussions nerveuses qui font penser aux illusions d’optique causées par la chaleur ou aux lézards qui se disputent le cadavre d’une mouche.

Pourtant, au fur et à mesure que la structure rythmique avance, le son s’épaissit et prend de la rondeur. Le solo de contrebasson et la séquence de percussions qui suit introduisent une complexité qui se rapproche du répertoire du début du 20e siècle. Juste avant le final joyeusement discordant – l’orchestre en feu et Marin Alsop concentrée sur les dérapages bien contrôlés des tempos – Heliosis déploie des couleurs sonores d’un Stravinsky espiègle et des rythmes ironiques d’un Chostakovitch inachevé. “Superficiel !” tranche mon voisin avec autorité, “personne n’en parlera dans dix ans”. Son commentaire sera noyé dans la salve d’applaudissements d’un public visiblement plus indulgent.

Concerto pour piano n° 24 de Wolfgang Amadeus Mozart

Après une brève pause, la pianiste vénézuélienne Gabriela Montero rejoint l’orchestre sur scène. Lorsque la professeure de piano de Montero attire l’attention de Martha Argerich sur le talent d’improvisation de sa jeune élève, Argerich encourage la prodige à improviser en public. Gabriela Montero, qui se produit sur scène depuis l’âge de huit ans, suit le conseil de la célèbre pianiste argentine et acquiert rapidement le sobriquet “la reine de l’improvisation”. Grande, souriante, impassible, vêtue d’une tunique turquoise et parée de bijoux, elle marque le contraste avec la silhouette menue et tonique de Marin Alsop. Pourtant, la complicité entre les deux musiciennes est manifeste et on notera le sourire admiratif d’Alsop après une cadence d’improvisation particulièrement remarquable de Montero. Comme tous les concertos de Mozart, le n°24 présente un caractère d’improvisation et de virtuosité que Gabriela Montero exploitera avec brio.

Composé peu de temps après Les Noces de Figaro et créé le 1er mai 1786 à Vienne, le Concerto n° 24 est un des rares concertos pour piano de Mozart écrits dans une tonalité mineure. Le n° 24 est une œuvre ténébreuse et tragique, regorgeant d’élans passionnés, de contrastes éblouissants et de richesses orchestrales. Dans le premier mouvement, le thème initial revêt un caractère sombre, joué par l’orchestre dont les différents pupitres, notamment la flûte et le basson, échangent, sans pour autant aboutir à une résolution. Le piano entre avec un nouveau motif, discret et aérien, qui évoque la solitude et la désolation.

Au début, Montero semble jouer avec une décontraction qui frôle la léthargie, mais au fur et à mesure que le son de l’orchestre se déploie et prend de l’ampleur et de la texture, la pianiste s’anime et nous livre des cadences saisissantes sous l’œil attentif et engageant d’Alsop. Le deuxième mouvement, le Larghetto, est plus simple et lyrique, avec des conversations privilégiées entre les vents et le piano. La soliste développe ici encore quelques superbes improvisations et révèle pleinement la virtuosité de son interprétation. Le troisième mouvement réintroduit une ambiance troublée et l’orchestre énonce le thème principal presque martial. Le piano entame une série de huit variations d’une grande finesse et le Concerto se termine après une cadence qui laisse au soliste le loisir de l’interpréter autant de fois qu’il le souhaite.

Piaf revue par Montero  

Les applaudissements bien nourris se soldent par un bis singulier. Gabriela Montero s’empare du micro et demande au public de chanter une mélodie. En échange, la pianiste s’engage à nous livrer une expérience inoubliable. Les spectateurs rigolent et scrutent la salle pour voir si quelqu’un se lancera. Un spectateur siffle les premières notes de Mon manège à moi d’Édith Piaf. La salle reconnaît la chanson et accompagne le siffleur jusqu’à ce que Montero s’assied au piano, reproduit les notes de “tu me fais tourner la tête…” et se met à improviser. “Comme au temps de Mozart”, elle sourit, “ce qui se passera ce soir ne se reproduira plus jamais nulle part ailleurs”. Sa composition durera quelques minutes et elle sera admirablement cohérente. Avec chaque variation, le motif de Piaf deviendra de plus en plus abstrait et sophistiqué jusqu’à se muer en autre chose, pour revenir, clair et simple, comme pour nous rappeler que cette musique fine, étoffée et généreuse est née de quelques notes sifflées par un spectateur du premier balcon. Les brava éclatent parmi les rires et la bonne humeur générale.

Symphonie n° 7 d’Antonin Dvorák

Pendant que les membres de l’Orchestre symphonique de la Radio de Vienne s’installent, l’on admire (et commente) leurs tenues élégantes : les queues-de-pie des hommes et les robes longues des femmes. Les plus avisés déplorent l’annonce, en février dernier, de l’ORF, la radio autrichienne, qu’elle ne pourrait plus financer le RSO Wien à l’avenir. Pour cette Septième de Dvorák, la plus héroïque et romantique de toutes, le chic viennois du RSO, l’incertitude qui plane sur son avenir et le dynamisme combatif de sa cheffe feront excellent ménage. Le résultat est joyeusement électrisant.  

Dvorák composera la Septième symphonie à la demande de la Royal Philharmonic Society et sa création à Londres en avril 1885 sera un grand succès. Le premier mouvement s’ouvre par un thème obscur  et puissant, dominé par les violoncelles et les altos. L’orchestre s’emballe, s’assagit, puis repart dans ses emportements. Les flûtes, les clarinettes et les violons portent la mélodie lyrique qui constitue le second thème. Après un dernier passage fougueux, l’Allegro maestoso se termine dans une ambiance apaisée. Le mouvement suivant, le Poco adagio, installe une couleur douloureuse qui n’est pas sans rappeler Tristan et Iseult. Les violons développent le thème et les bois apporteront les rythmes affirmés auxquels les cordes répondront avec énergie. Le dialogue entre les clarinettes et les bois passera à la flûte et au basson, avant d’être repris par les violons qui vont le faire culminer en une déferlante. Le Scherzo est aussi enjoué que sérieux, voire féroce, martelant le thème de danse paysanne. La section centrale est délicate, dominée par les dialogues des bois et de la flûte, qui créent une ambiance rêveuse. La reprise de la danse initiale se termine dans une mélodie wagnérienne portée par les altos. Le final alterne les passages tragiques, austères, lyriques et fougueux, avant de s’achever dans un tumulte triomphal.

Alsop vs Tar

Marin Alsop s’est fait récemment remarquer dans la presse internationale, non pas pour célébrer sa carrière exceptionnelle, mais à cause de sa virulente critique du film Tar, qu’elle dénonce comme “un portrait misogyne d’une femme au pouvoir”. Alsop aurait inspiré la biographie et le parcours du personnage de Lydia Tar, interprétée par Cate Blanchett. Il se trouve que l’ancienne étudiante et collaboratrice de Leonard Bernstein, la première femme chef d’orchestre à diriger un orchestre symphonique majeur aux États-Unis et lauréate du prestigieux prix MacArthur, n’était guère enchantée par ce curieux hommage : “J’étais offensée en tant que femme, en tant que cheffe d’orchestre, en tant que lesbienne”.

Mais ce soir à la Philharmonie, loin de la maestra fictionnelle toxique et prédatrice, incarnée par Blanchett, Marin Alsop est à l’écoute de ses musiciens. Précise et exigeante, elle met en valeur les solistes tout en gardant un son de l’ensemble équilibré et raffiné. Marin Alsop et le RSO Wien, en excellente forme, nous livrent une Septième ample et généreuse, qui évoque une certaine Gemütlichkeit de ces cafés viennois où l’on vous accueille avec un chocolat chaud et une Sachertorte un matin d’hiver. Le Scherzo de l’équipe Alsop/RSO Wien n’est, certes pas le plus endiablé, mais il est viennois. Un peu Broadway aussi. 

En bis, Aslop et RSO rendent hommage au groupe de punk rock féministe russe, Pussy Riot, la girl band préférée de la maestra, avec Pussy Polka de Gerhard Winkler. Le pastiche tordant de valses straussiennes, dopées aux percussions, se termine avec un gazouillement d’oiseaux interminable qui déclenche des rires et des applaudissements d’un public rassasié, autant par la grâce que par la fraîcheur de ce spectacle inattendu.

Visuel : Gabriela Montero et Marin Alsop, © Hannah Starman

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