La nouvelle politique culturelle de l’Union européenne
Le prochain Cadre financier pluriannuel de l’Union européenne sur la période 2021-2027 doit être adopté à l’automne. Il s’agit du Budget des 27. À cette occasion, la Commission européenne a proposé un projet de règlement pour une réforme de la politique culturelle de l’Union. Affectée par le Coronavirus, la Commission a largement réduit, en mai dernier, ses ambitions pour la culture.
Par Julien Bouvet.
L’enveloppe financière prévue en faveur de la mise en œuvre du programme « Europe créative » était initialement de 1,85 milliard d’euros. Soit une augmentation de près d’un tiers des moyens alloués à la culture. Conséquence de la crise sanitaire, la Commission européenne a révisé en mai 2020 sa proposition de cadre financier pluriannuel. Dans cette révision, les moyens du programme Europe Créative sont réduits de 13%. Le 22 juin dernier, la commission de la culture du Parlement européen a critiqué les réductions de financement des programmes éducatifs et culturels effectuées par la Commission, les qualifiant d’« inacceptables ». Pour autant, le Parlement n’a pas les moyens d’amender la proposition de la Commission et son rôle dans la détermination du budget pluriannuel reste limité.
Une action culturelle de l’Union naturellement limitée
L’Union européenne ne dispose que d’un champ d’action limité dans la culture
L’idée d’une politique culturelle de l’Union européenne n’apparaît pas comme une évidence. La construction européenne privilégie un objectif d’intégration économique, et n’envisage la culture qu’en appui aux politiques des États membres. Son action est avant tout économique : avec les États membres, elle favorise la compétitivité et le développement des entreprises de l’industrie culturelle sur la base de l’article 173 du TFUE. L’action culturelle de l’Union est, de plus, limitée par le principe de subsidiarité qui interdit à l’Union d’agir si les États membres peuvent atteindre plus efficacement les mêmes objectifs (art.5 du TUE). Les politiques culturelles en Europe restent donc essentiellement nationales.
En outre, dans la mesure où il n’existe pas une culture européenne comme il existe une culture française, une culture allemande ou une culture roumaine, une politique culturelle européenne semble difficilement envisageable. L’Union doit ainsi accommoder des visions nationales radicalement différentes entre les pays qui considèrent la culture comme un marché comme un autre et ceux qui lui accordent un statut d’« exception » au premier rang desquels la France milite activement.
Face à ces différences parfois irréductibles, il y avait un enjeu à définir la notion de « culture » dont le contenu est beaucoup plus vaste dans certaines langues que dans d’autres (en Allemand Kultur désigne, plus largement qu’en Français, la connaissance). Le projet de règlement choisit donc une définition large et consensuelle des « secteurs de la culture et de la création » comme « tous les secteurs dont les activités sont fondées sur des valeurs culturelles ou sur des expressions artistiques et autres expressions créatrices individuelles ou collectives. Ces activités peuvent inclure le développement, la création, la production, la diffusion et la conservation de biens et services incarnant une expression culturelle, artistique ou toute autre expression créatrice, ainsi que les tâches qui s’y rapportent, comme l’éducation ou la gestion. […] Ces secteurs comprennent l’architecture, les archives, les bibliothèques et les musées, l’artisanat d’art, l’audiovisuel (y compris le cinéma, la télévision, les jeux vidéo et le multimédia), le patrimoine culturel matériel et immatériel, le design (y compris la mode), les festivals, la musique, la littérature, les arts du spectacle, les livres, l’édition, la radio et les arts visuels. »
L’Union n’en est pas moins un acteur important de l’action culturelle publique
Il existe bien un base juridique spécifique à l’action culturelle de l’Union. L’article 3 du traité sur l’Union européenne dispose que l’Union « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen » et l’article 167 du TFUE que « L’Union contribue à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun ».
Plus largement, la culture traverse l’ensemble des politiques de l’Union. Dans le cadre des politiques de l’éducation de la jeunesse, le corps européen de solidarité intéresse de jeunes Européens à la restauration et la conservation de sites du patrimoine culturel. S’agissant des politiques sociales et de l’emploi, la politique culturelle participe du renforcement de la compétitivité des secteurs de la culture et de la création et favorise la création d’emplois dans ces secteurs. Les politiques de développement régional, urbain et rural de l’UE contribuent à promouvoir la restauration du patrimoine culturel et à soutenir les secteurs de la culture et de la création. Enfin la culture est conçue comme un moyen pour l’Union européenne de promouvoir les valeurs sur lesquelles elle est fondée, de pluralisme, d’État de droit et de démocratie, même au-delà de ses frontières.
Le rôle de l’Union européenne consiste donc à aider les États membres à relever des défis communs, comme l’impact des technologies numériques, l’évolution des modèles de gouvernance dans le domaine culturel et la nécessité de soutenir l’innovation dans les secteurs de la culture et de la création. La principale valeur ajoutée de l’UE, dans le domaine culturel, vient de la forte dimension transnationale de son action. Son programme « Europe créative » propose ainsi une offre, rarement couverte par des financements nationaux pour faciliter la réalisation de projets transnationaux. L’action de l’UE se déploie, en outre, dans la facilitation de la circulation transfrontière des œuvres culturelles et créatives, dans le cadre du marché commun et dans la limite de la protection légitime de trésors nationaux (art.36 du TFUE)
La traduction est une bonne illustration de la pertinence de l’action de l’Union
En raison de ses élargissements successifs, l’Union européenne compte désormais 3 alphabets et 23 langues officielles. Près de 60 autres langues font également partie de son patrimoine commun. Les actions de l’Union en faveur de la traduction et du multilinguisme sont nombreuses. La Direction générale de la traduction de la Commission européenne est ainsi l’un des plus grands services de traduction au monde. La commission organise chaque année le forum « traduire l’Europe ».
Dans le cadre plus spécifique de la politique culturelle, l’Union européenne promeut particulièrement la traduction littéraire européenne. Elle encourage la traduction de langues moins répandues que l’anglais, l’allemand, le français et l’espagnol pour favoriser une circulation plus vaste des œuvres. Pour cela, elle apporte une contribution financière aux projets répondants à des appels régulièrement lancés (EUROPE CRÉATIVE (2014-2020) Sous-programme «Culture» Appel à propositions EACEA 07/2019: Soutien aux projets de traduction littéraire)
Le programme Europe Creative, fer de lance de la Politique culturelle de l’UE
La politique culturelle de l’Union européenne est dotée de moyens modestes
L’action culturelle de l’Union s’inscrit dans le cadre du programme Europe créative qui soutient les secteurs audiovisuel, culturel et créatif en Europe. Pour la période 2014-2020, son budget est de 1,4 milliards d’euros (soit 200 millions d’euros par an en moyenne) ce qui représente environ 0,5% du budget de l’Union. Ce chiffre est à rapporter aux dépenses des États membres en matière de culture. En moyenne les États allouent 1% de leurs dépenses publiques aux politiques culturelles (Eurostat 2015). En France, le budget du ministère de la Culture représente 1% des dépenses de l’État, mais l’ensemble des moyens de l’État alloués à la culture représentent 14,2 milliards d’euros soit 4% du budget général de l’État (en loi de finances initiale pour 2020, donc avant la crise du Coronavirus). À cet effort, il faut ajouter les dépenses des collectivités territoriales en faveur de la culture de 9,3 milliards d’euros en 2014 (ministère de la Culture, 2017). En définitive la Culture représentait environ 1,8% de l’ensemble des dépenses publiques en France avant la crise sanitaire.
Dans le cadre du programme Europe Créative, le sous-programme « Culture » fournit un support financier aux projets à dimension européenne visant le partage transfrontalier de contenus culturels. Il favorise l’acquisition de qualifications par les acteurs culturels dans le marché intérieur, soutient la mobilité des œuvres et participe à la diffusion des œuvres de littérature européenne. Le sous-programme MEDIA attribue des aides financières pour la promotion des films européens.
Outre Europe créative, plusieurs initiatives de l’Union européenne favorisent la culture en Europe
Depuis 1985, la Capitale européenne de la culture soutient des manifestations culturelles dans une ville européenne désignée pour une année. L’agenda européen de la culture définit le cadre stratégique de la coopération européenne concernant l’élaboration des politiques culturelles. Le label du patrimoine européen, créé sur l’impulsion de la France, a pour objectif « la mise en valeur des biens culturels, monuments, sites naturels ou urbains et des lieux de mémoire, témoins de l’histoire et de l’héritage européen ».
L’action culturelle de l’Union se traduit également par le rapprochement des législations nationales. Une directive de 1992 fait obligation aux États de reconnaître le droit exclusif pour un auteur d’autoriser ou d’interdire la location et le prêt d’œuvres protégées et d’en retirer une rémunération équitable. La politique audiovisuelle est encadrée par la directive de 2010 sur les services de média audiovisuels. Les États membres doivent garantir la libre réception et retransmission des émissions sur leurs territoires. Un temps de diffusion majoritaire doit être consacré à la diffusion d’œuvres européennes. Révisée en 2018, la directive a été étendue aux plateformes de partage vidéo.
Les défis de l’automne
Dans sa proposition de règlement établissant le nouveau programme Europe Créative pour la période 2021-2027, la Commission européenne identifie trois grands enjeux auxquels doit répondre aujourd’hui la politique européenne de la culture : la numérisation de l’économie, la concurrence mondiale et la fragmentation des marchés européens de la culture.
L’enjeu du numérique
La numérisation de l’économie transforme profondément la façon dont les biens culturels sont créés, gérés, diffusés, découverts, consommés et commercialisés. La numérisation a facilité la distribution des contenus et services culturels et créatifs, tout en intensifiant par ailleurs la concurrence des contenus par-delà les frontières à l’échelle mondiale. En effet des entreprises comme Netflix ou Amazon, qui ne sont pas européennes, sont les premières à tirer parti de cette évolution, au détriment des entreprises européennes. Il en résulte un phénomène nouveau, la concentration du marché à l’échelle mondiale : un nombre limité de grands acteurs représentent une grande partie des ventes mondiales.
Un marché culturel mondial
Enfin, les marchés sont très fragmentés pour les œuvres culturelles et créatives, ce qui résulte essentiellement de la diversité culturelle et linguistique de l’Europe, qui se traduit par une séparation de secteurs de la culture et de la création essentiellement fondée sur des critères nationaux et linguistiques, privant ces secteurs d’une masse critique suffisante. Ainsi la circulation transnationale des œuvres reste limitée. L’industrie audiovisuelle européenne est reconnue à l’échelle internationale, mais n’est pas suffisamment compétitive au sein du marché unique numérique. 80% des films européens sont des productions nationales.
Un renouvellement du programme Europe Créative
En réponse à ces enjeux, la Commission européenne a proposé en 2019 une réforme d’Europe créative. Le nouveau programme renforce les initiatives transfrontières européennes innovantes et intensifie l’expérimentation de nouveaux modèles d’activité permettant aux créateurs de tirer le meilleur parti des technologies numériques à des fins de création et de conquête de nouveaux publics. Pour faire face à des marchés internationaux de plus en plus concurrentiels, le nouveau programme soutiendra les partenariats et réseaux transnationaux pour encourager le développement à plus grande échelle des secteurs européens de la culture et de la création. Le programme investit dans le développement des capacités créatives des artistes et des professionnels du secteur. Il soutiendra des initiatives permettant à davantage de citoyens de prendre part à la culture.
Ainsi, au titre du programme Europe créative, l’Union européenne soutient 33 festivals de films européens qui diffusent au moins 50% de films non nationaux avec une programmation à 70% européenne représentant au moins 15 pays de l’Union. Dans ce cadre L’Union a, par exemple, soutenu le 48e festival La Rochelle Cinéma.
Face à ces défis, l’Union européenne semble pourtant réduire son niveau d’ambition dans sa dernière proposition du budget pluriannuel 2021-2027
Un fonds spécial
Le 19 mai dernier, lors d’un Conseil informel des ministres de la Culture de l’Union Européenne, les États membres se sont saisis des conséquences du Coronavirus sur le secteur de la culture en Europe. Plusieurs États membres ont appelé à la création d’un fonds dédié à la culture dans le cadre du plan de relance prévu par la Commission. Ces suggestions ne se sont pas encore traduites par des propositions concrètes.
La nouvelle proposition de mai 2020 de la Commission pour soutenir l’économie européenne réalloue les moyens envisagés. La politique de l’environnement en bénéficie largement. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a présenté ce plan au Parlement européen en promettant de placer un « Green Deal » au cœur de l’effort de relance de l’Union. Si certains secteurs gagnent de nouveaux moyens, d’autres en perdent également.
Mais une baisse du budget
Le programme Europe Créative connaît une baisse de 13% de son budget par rapport à la proposition précédente. La culture n’est cependant pas la seule à perdre des moyens. Le fonds européen de défense voit également ses ambitions réduites, ce qui a suscité en juin dernier une réaction commune des ministres de la Défense de France, d’Allemagne, d’Espagne et d’Italie pour réaffirmer la priorité absolue donnée à la défense et à la sécurité en Europe. La réduction des moyens de la culture n’a pas suscité une telle réaction.
Dans le roman La Capitale de l’écrivain autrichien Robert Ménasse, un responsable de la DG Culture de la Commission européenne s’interroge sur l’apostrophe bien connue, mais néanmoins obscure, d’un des pères fondateurs de l’Union Européenne, Jean Monnet « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». « Qu’est-ce qu’au juste Monnet pouvait bien vouloir dire ? Cela signifiait-il qu’il aurait d’abord fait jouer la 9e symphonie de Beethoven et que seulement après il aurait fondé le marché commun ? » La place de la politique culturelle de l’Union européenne apparaît en effet ambigüe et présente toujours le risque d’être traitée comme un sous-secteur du marché unique comme un autre. L’Union européenne apparaît pourtant comme un niveau utile pour promouvoir l’héritage culturel européen et ses traditions artistiques et littéraires qu’il serait regrettable d’ignorer.
visuel (c) Laetitia Larralde / Toute La Culture