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[INTERVIEW] Jean-Yves Camus : “Les skinheads se passionnent pour une musique hybride et dégénérée de punk et de métal qui appelle à l’antisémitisme et au racisme »

[INTERVIEW] Jean-Yves Camus : “Les skinheads se passionnent pour une musique hybride et dégénérée de punk et de métal qui appelle à l’antisémitisme et au racisme »

01 July 2013 | PAR La Rédaction

Mort de Clément Méric le 5 juin, législatives partielles avec un Front National vainqueur dans le Vaucluse, au second tour dans l’Oise en mars et récemment à Villeneuve sur Lot, dans le fief de l’ancien ministre Jérôme Cahuzac… Les groupuscules d’extrême droite et le Front National sont à la une de l’actualité de ces dernières semaines. Le politologue et spécialiste de l’extrême droite Jean Yves Camus analyse la culture et les comportements de ces différentes organisations.

 48901_534483829_9402_nOn a beaucoup entendu parler de l’extrême droite ces derniers temps. La mort de Clément Méric le 5 juin dernier a mis en lumière des groupuscules nationalistes et violents plus discrets ces dernières années. Et puis politiquement, à un an des élections municipales et européennes, le Front National s’est qualifié au second tour des élections législatives en Picardie en mars et plus récemment à Villeneuve sur Lot. Cela est l’occasion d’interroger le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus sur la nébuleuse nationaliste et également sur le Front National.

Le mouvement skinhead

Né dans les années 60, les skins sont pour Jean-Yves Camus « une sous-culture de la jeunesse ouvrière » originaire de Grande-Bretagne. Dans les années 70, ces groupes se politisent et se radicalisent. D’un côté des skinheads s’orientent à l’extrême droite tandis que d’autres se placent à l’extrême gauche.

La décennie 80 marque l’apogée du mouvement en Grande-Bretagne. Les conditions de vie sont difficiles pour les ouvriers et pour certains les  seules solutions sont la haine et la violence (comme le montre parfaitement le film This is England sorti en 2006).

Durant cette période, le mouvement s’exporte dans plusieurs pays et débarque en France aux alentours des années 1983-1984.

Les années 90-95, l’heure de gloire du mouvement skinhead en France

Jean-Yves Camus explique cette apogée par l’existence du Parti Nationaliste Français et Européen (le PNFE), une structure qui réussit alors à « unifier les mouvements skinheads dans une certaine structure », la seule d’ailleurs qui y soit arrivée à ce jour.

En effet, les skinheads refusent l’embrigadement dans un parti politique, « C’est plutôt un esprit de bande qui vit à la marge ».

Au même moment, les skinheads font la une de l’actualité avec 2 faits tristement célèbres. Il y a d’abord la profanation en 1990 du cimetière juif de Carpentras (4 néonazis seront condamnés pour cette affaire) puis le 1er mai 1995 le meurtre de Brahim Bouarram, jeté dans la Seine en marge d’un défilé du Front National.

 

La culture skinhead

Cette culture n’est pas une culture intellectuelle (comme le rappelle le fameux fantasme des 3 B « Bière, baise, baston ») mais également une culture de reconnaissance (les Doc Martens, les crânes rasées ou la marque Fred Perry).

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le mouvement skinhead est proche à ses débuts des milieux d’immigrés jamaïcains. La musique de prédilection est d’ailleurs le ska. Au fil du temps, les orientations musicales vont évoluer. Les skins d’extrême gauche écoutent du hard core alors que ceux d’extrême droite se passionnent Outre les concerts sauvages, les skins échangent des cassettes, des vinyles puis des CD hors des circuits commerciaux.

En ce qui concerne la presse, les skinheads se sont fait connaître par une multitude de fanzines. En France, grâce au Parti Nationaliste Français et Européen, ils font parler d’eux dans le journal Le Flambeau au début des années 90.

Aujourd’hui les skinheads tentent de faire vivre leur culture sur la Toile. Ils se regroupent sur les réseaux sociaux, partagent de la musique via des sites spécialisés et peuvent même acheter des vêtements introuvables ailleurs. Quant aux concerts, ils ont lieu dans des petites communes en Alsace, dans le Nord Pas de Calais, en région parisienne et dans des villes ouvrières comme Le Havre ou Brest. Le mouvement skinhead a toujours, comme à ses débuts, ses racines dans le milieu ouvrier.

La mouvance nationaliste aujourd’hui

Les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (dont on a beaucoup parlé ces dernières semaines avec l’assassinat de Clément Méric) ont des thématiques sociales et un nationalisme prononcé. Ils ne sont pas skinheads et ne sont pas plus d’une trentaine.

Le Bloc Identitaire est sans doute le seul mouvement qui a réussi à se tourner vers les élections. Dans ses rangs se trouvent d’anciens skinheads dont certains intellectualisés et bourgeois. De fait, souligne Jean-Yves Camus, « leur passage dans le mouvement skinhead a été une erreur de casting ».

Unité Radicale, dissoute en 2002 (après l’attentat raté contre Jacques Chirac par Maxime Brunerie lors d’un défilé du 14 juillet) existe toujours mais un gros nettoyage a été effectué au sein de ses troupes. Quant au GUD (Groupe Union Défense), il se distingue depuis la fin des années 60 dans le milieu étudiant notamment à Paris et à Lyon. Sa particularité est le maintien d’un réseau de sociabilité et de liens personnels comme dans une sorte de corpo.

Aujourd’hui le nombre total d’activistes d’extrême droite tourne autour de 3000 c’est à dire moins qu’en Allemagne.

Une question se pose toutefois : quels sont les liens entre ces mouvances et le Front National ? Ils sont finalement très peu nombreux.

A l’étranger, les organisations de ce type restent nombreuses aux Etats-Unis. En Europe, « une survivance reste en Angleterre et un milieu se maintient en Allemagne ». L’épicentre reste l’Europe Centrale et Orientale. Certaines structures ressemblent même à des organisations de motards, notamment dans la façon d’accepter les membres, souvent longue et à la limite de la paranoïa.

Le Front National

Depuis plusieurs années, le FN se décline en plusieurs électorats. Dans le sud-est, le vote est ancien et remonte aux années 83-84. Ce sont des professions indépendantes, des retraités, des cadres moyens et des pieds-noirs, dans une région où l’immigration est forte depuis longtemps et où donc le « mobile » électoral est souvent la peur de l’étranger.

L’autre terrain de chasse depuis plusieurs années du parti de Marine Le Pen sont le Nord Pas de Calais et plus récemment la Picardie. La montée du chômage amène de nombreux électeurs précaires, ouvriers et chômeurs, à se tourner vers le FN mais moins par adhésion que par dépit et le sentiment d’être abandonnés par la classe politique. En mars dernier, le député UMP sortant remporte une législative partielle dans l’Oise mais la candidate frontiste est battue au second tour avec moins de 800 voix d’écart.

La situation d’aujourd’hui est-elle proche des années 30 ?

On entend souvent que la France d’aujourd’hui a des points communs avec celle des années 30. Mais pour Jean-Yves Camus, la situation n’est pas du tout la même et ce pour plusieurs raisons.

Dans les années 30, le capitalisme est national et la mondialisation n’existe pas. Le monde d’alors est marqué par la guerre de 14-18 et en France il n’existe pas de loi contre le racisme et l’antisémitisme.

Dans les années 30, la presse est le relais d’une haine déversée sur les dirigeants politiques, notamment communistes, avec des propos très durs et violents. Aujourd’hui, les discours sont beaucoup plus modérés et d’ailleurs la presse d’extrême droite ne se vend plus. Minute est passé de 200 000 exemplaires dans les années 60 à environ 2000 aujourd’hui. Rivarol plafonne à 3000 abonnements.

Enfin les mouvements d’extrême droite sont intellectualisés avant la Seconde Guerre mondiale. Céline, Drieu la Rochelle, Brasillach, Rebatet… De nombreux auteurs sont aussi talentueux que proches des Croix de Feu, du Parti Populaire Français et autres organisations fascistes de l’époque. De nos jours, l’extrême droite compte très peu d’intellectuels dans ses rangs, à l’exception de certains, proches des milieux catholiques traditionalistes et intégristes.

 Christophe Dard 

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La Rédaction

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