Politique culturelle
De la virilité : entretien avec Alban Jacquemart

De la virilité : entretien avec Alban Jacquemart

01 July 2013 | PAR Fatima-Ezzahrae Touilila

Trop inquiets de savoir si notre dossier “Hommes” serait suffisamment viril, nous nous sommes attachés à la notion même de la virilité, de son ancrage historique, de sa représentation contemporaine. Entretien avec Alban Jacquemart, docteur en sociologie de l’EHESS, spécialiste du genre et des mouvements féministes.

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Quelle est l’origine des notre (nos) modèle(s) de virilité ?

Il est difficile de répondre à cette question posée en ces termes. En revanche, on peut souligner que les caractéristiques associées aux hommes, comme aux femmes d’ailleurs, évoluent dans le temps et sont le produit de processus historiques, sociaux, culturels, etc. On peut également noter que ce qui est considéré comme “masculin” (ou “féminin”) varie aussi en fonction de la classe, de l’âge, de la “race” ou encore de la sexualité.

La virilité est-elle encore associée au corps masculin ?(ne devient-elle pas l’attribut d’objets : médicaments, accessoires dont l’homme se saisit) ?

Le corps est un des marqueurs sociaux de la virilité, ne serait-ce parce que c’est sur le corps que la pensée de la différence des sexes se fonde. Ainsi, la virilité renvoie à toute une série de mises en scène de soi (dont les modalités varient dans le temps et l’espace social) qui s’appuient sur le corps (musculature, pilosité…) mais aussi sur un ensemble d’objets (à commencer, par exemple, par les vêtements).

La montée du féminisme n’a-t-elle pas menacé l’identité virile, parce qu’elle donne une vision négative de la virilité associée à la misogynie et le phallocentrisme ?

Les mouvements féministes se sont constitués pour dénoncer les inégalités, dans le droit puis dans les faits, que subissaient les femmes. Dès lors, les mouvements féministes récusent les comportements et représentations sociales qui infériorisent les femmes et les cantonnent à certaines activités. En ce sens, les normes de masculinité sont effectivement mises en cause, en ce qu’elles s’appuient sur l’infériorisation des femmes, qui servent de contre-modèles (être un homme, c’est d’abord ne pas être comme une femme).

Peut-on être féministe, viril, et homme ?

On peut être féministe, viril et homme, ou viril, homme mais pas féministe ou encore féministe, viril mais pas homme. Tout dépend de la façon dont chacun-e définit les différents termes. Pour ce qui est des mouvements féministes, il faut souligner leur diversité, la multiplicité des définitions qui sont données au mot « féministe » et la variété des points de vue sur la participation des hommes aux luttes féministes. Ainsi, certains groupes féministes vont être réservés aux femmes quand d’autres vont faire le choix de la mixité. Au sein de ces derniers, les militantes sont néanmoins généralement attentives aux comportements des hommes, notamment pour ne pas voir se reproduire la domination masculine (position de leader des hommes, prises de paroles masculines plus nombreuses, division sexuée des tâches militantes…) dans ces espaces.

Quelle place reste-t-il à la virilité dans notre société contemporaine ? La virilité est-elle en crise comme le titrait Alain Corbin, ou en redéfinition ?

A partir du moment où la société repose toujours sur l’idée que l’humanité est divisée en deux catégories distinctes (hommes et femmes), la virilité ou masculinité et la féminité ne connaissent pas la crise. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y a une définition stable de ces catégories. Au contraire, ces définitions évoluent et il est indéniable que, notamment, les avancées obtenues par les mouvements féministes ont contribué à les transformer. Mais ces ajustements de définition sont constants et n’impliquent pas nécessairement une remise en cause totale de ce qui est perçu comme masculin ou féminin.

Peut-elle s’adapter, intégrer les canons contemporains sans perdre son essence même ? Si oui, quels sont les traits, les formes qu’épouse cette virilité nouvelle ?

Il n’y a justement pas d’essence de la virilité, mais toujours des contenus historiquement, culturellement et socialement définis. Dans le cas de la France, on peut constater que, depuis plusieurs décennies, les formes de sexisme les plus manifestes sont de moins en moins tolérées socialement. Cela implique certainement des transformations des normes de masculinité. Mais il faut insister sur deux points. D’abord, cela ne signifie pas que le sexisme a disparu, mais qu’il a pris d’autres formes. Le meilleur exemple est celui de la répartition des tâches domestiques et parentales. Si les discours médiatiques mettent en avant, depuis plus de 30 ans déjà, le « nouvel homme » et que l’on peut croire à une plus grande implication des hommes dans la vie quotidienne, les chiffres des enquêtes de l’INSEE montrent une étonnante stagnation de l’implication des hommes, toutes classes sociales confondues : le temps quotidien consacré aux tâches domestiques par les hommes a augmenté de 6 minutes entre 1986 et 2010. Deuxième point, on croit souvent que les urbains seraient plus égalitaires que les ruraux, les classes supérieures que les classes populaires, les blancs que les non-blancs, etc. Or, il s’agit en réalité bien plus d’une plus grande aisance avec les codes sociaux nouveaux, qui sanctionnent plus fortement le sexisme trop visible, que de réels clivages de comportements. Pour le dire autrement, les hommes les mieux dotés socialement vont pouvoir s’adapter au nouvel impératif de l’égalité tout en changeant pas ou peu leurs comportements. On constate ainsi, par exemple, que les hommes vivant dans une commune de moins de 10.000 habitant-e-s consacrent en moyenne 4 minutes de plus aux tâches ménagères que les parisiens ; de la même manière, toutes les enquêtes montrent que les violences conjugales se retrouvent dans les mêmes proportions dans tous les milieux sociaux.

Visuel: (c) Marlon Brando, dans “un tramway nommé Désir”.

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Fatima-Ezzahrae Touilila

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