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Elsa Dreisig, artiste lyrique de la semaine

Elsa Dreisig, artiste lyrique de la semaine

06 September 2019 | PAR Paul Fourier

Chaque semaine, toutelaculture vous proposera désormais le portrait d’un(e) artiste classique en lien avec son activité. Nous commençons, en ce début de saison 2019-2020, par Elsa Dreisig qui interprète Elvira dans les Puritains de Bellini, du 7 septembre au 5 octobre à l’Opéra de Paris Bastille.

 

Elsa Dreisig est franco-danoise. Auréolée de nombreux prix (Premier Prix féminin au prestigieux concours Operalia ou encore titre de “révélation artiste lyrique” aux Victoires de la musique classique), elle a intégré, en 2017, la troupe du Staatsoper Berlin. Elle y a notamment chanté Pamina (La Flûte enchantée), Euridice (Orfeo ed Euridice), Musetta (La Bohème), ou encore Violetta (La Traviata).

Elle a également été Micaëla (Carmen) en 2017 au Festival d’Aix-en-Provence puis a abordé, en 2019, sa toute première Manon de Massenet à l’Opéra de Zurich, aux côtés de Piotr Beczala.

Son premier album solo, “Miroir”, a été gratifié, entre autres récompenses, d’un “Diamant” d’Opéra Magazine, d’un “Diapason d’or de l’année” de Diapason et d’un “Choc de l’année” de Classica.

Alors qu’elle a déjà interprété Pamina (La flûte enchantée), Lauretta (Gianni Schicchi) et Zerlina (Don Giovanni), à l’Opéra de Paris, Elsa Dreisig nous a accordé un entretien en pleine période de répétition des Puritains :

Bonjour Elsa, vous avez, l’an dernier, publié un très bel album totalement éclectique. En un an, vous avez « aligné » Pamina (la Flûte Enchantée), Violetta (Traviata), Euridice, Diane (Hippolyte et Aricie) -tous ces rôles à Berlin-, Manon (Zurich) et Zerlina (Don Giovanni, Paris). Et vous vous apprêtez à chanter Elvira, Musetta, Fiordiligi à Berlin, puis Gilda à Paris, et tout cela sans vous arrêter et ce, avec très peu de temps entre chaque rôle. Comment arrivez vous à tenir ce rythme, qui plus est, dans des répertoires aussi différents ?

En effet, jusqu’à présent, ce côté éclectique a nourri ma carrière. Je suis une personne très gourmande et j’ai eu besoin de ce rythme de vie « effréné ». Mais je suis en train d’évoluer. Je me rends compte que j’ai, malgré tout, en dehors des périodes où je chante, besoin de plages de repos et de plages de temps de travail pour mes futurs rôles. Mon année à venir est extrêmement remplie mais, ensuite, je vais progressivement alléger mon emploi du temps dans ce sens. Il est clair que mon rythme est aussi ma force, mais cette générosité ne doit pas avoir pour conséquence pour moi d’y laisser des plumes. J’ai notamment besoin de bien séparer trois phases : celle de la préparation et du travail personnel, celles des répétitions et de la prise de rôle, et enfin celle de vacances pour gérer la fatigue et l’énergie. Cette année j’ai trois grosses prises de rôles à venir (Elvira, Fiordilgi et Gilda), mes débuts au Covent Garden avec Pamina, des récitals pour la promotion de mon prochain Album, et une tournée avec Simon Rattle avec « le Christ au Mont des oliviers » de Beethoven. Comme vous pouvez vous l’imaginer, la phase repos n’est pas encore d’actualité!
Pour le répertoire, j’aimerais désormais me diriger vers le bel canto italien qui représente, pour moi, un sommet de l’art lyrique, ainsi que vers Mozart qui m’est déjà familier puisque je chante déjà plusieurs rôles et que Fiordiligi, la Comtesse et Donna Anna sont à venir.

Elvira, c’est l’un des plus difficiles et des plus longs rôles du bel canto et aussi un sacré défi …

Oui c’est vrai ! Elvira est un rôle très long mais la longueur en soi ne me fait pas peur. Manon, que je viens de chanter, est également un rôle long et ça n’a pas été, pour autant, mon rôle le plus difficile. Il faut juste gérer son énergie, ce que vous avez beaucoup moins à faire lorsque vous chantez Zerline. Pour Elvira, il faut être dans un geste à la fois total, tout en « s’économisant » pour arriver au bout.
Ma technique de chant ne fait qu’évoluer et je pense avoir désormais trouvé la technique qui me convient le mieux, ce point de vibration des cordes qui me permet de ne pas forcer, avec une voix qui se projette d’elle-même. Le rôle d’Elvira est un exercice technique du début à la fin. Il n’y a pas cinquante façons de le chanter et il comporte une précision du geste qui m’aide vraiment.

Mais certaines chanteuses considèrent qu’Elvira est plutôt un point d’aboutissement dans le bel canto plutôt qu’un point de commencement…

On me l’a proposé il y a deux ans alors que ma carrière débutait !
Je n’ai pas vingt années de carrière derrière moi et je ne l’aborde pas comme une chanteuse qui a un corps entraîné à la fatigue que le rôle peut provoquer. Je ne vois d’ailleurs pas ce rôle, considéré comme difficile, comme un aboutissement de carrière. Je me sens prête à le faire aujourd’hui car il me guide correctement dans ma technique de chant. Certes, c’est la femme de vingt-huit ans que je suis aujourd’hui qui va le faire ; certes, je vais sûrement le porter à maturation dans l’avenir, mais je ne crois pas que l’on doive attendre si l’on considère que le rôle peut vous permettre de progresser techniquement.

Vous parliez d’aller vers le bel canto ? Pensez-vous plutôt à des rôles bouffes ou des rôles dramatiques ?

J’ai résolument une âme tragique et je ne me vois pas aller vers des rôles de soubrette même si, en tant que spectatrice, j’adore aller à l’opéra pour rire. D’ailleurs, on m’a déjà proposé Adina et Norina et je les ai refusés. Ce sont, de plus, des rôles où il faut, d’une certaine façon, alléger sa voix afin d’être dans le caractère de la musique et du personnage et c’est ce qui, vocalement, est fatigant pour moi. Non, il me faut des rôles avec un fort caractère émotionnel !
Mon rêve, c’est plutôt d’aller vers des rôles comme Desdémone (celle de Rossini et celle de Verdi) Luisa Miller, Amelia (Simon Boccanegra), Violetta, mais aussi Anna Bolena de Donizetti ou encore Semiramide de Rossini. Ce sont des rôles où la jeunesse est un atout. Elvira est encore presque une enfant, comme Juliette. La Comtesse est également encore une jeune femme ; c’est Rosine avec quelques années de plus. D’ailleurs, normalement, je l’aborde dans deux ans. En revanche, des rôles comme Lay Macbeth, la Maréchale ou Norma réclament d’avantage de maturité, non seulement vocale mais également humaine.

D’une manière générale, monter le bel canto est toujours une gageure pour un metteur en scène…

Les livrets des opéras italiens (à part Verdi) sont souvent sous-estimés. Je dirais qu’ils effraient plus qu’ils ne passionnent car ils contiennent, en effet, des « maladresses ». On peut chanter cinq fois la même phrase dans le bel canto. On est dans un art de l’exagération, mais avec des finesses psychologiques qui sont exceptionnelles. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai envie de défendre ce répertoire, car je sens que j’ai une compréhension intime des personnages. On peut en faire des personnages « en 2D » au lieu de les faire « en 3D », de les aplatir en quelque sorte. La folie d’Elvira, par exemple, est compliquée à mettre en scène, c’est une folie très abrupte. Si l’on ne met pas les choses correctement en place dès le début, la relation avec Arturo, la relation très compliquée au père, la situation de guerre, l’apparition de la prisonnière (la reine Henriette), cette folie tombe comme un cheveu sur la soupe. Sans oublier qu’à la fin, on ne sait pas si Elvira est encore folle et ça donne énormément d’intensité. On est donc dans un complexe psychologique très fort !

Vous êtes en résidence à Berlin. Pouvez-vous nous parler du travail au Staastoper ?

Cela fait longtemps que je n’y suis pas allée et j’ai beaucoup de chance d’être à la fois en troupe mais avec un contrat très flexible. Cela me donne une énorme liberté et, en même temps, un lieu d’ancrage. J’adore Berlin et Berlin, c’est chez moi ! J’aime l’idée d’avoir une maison d’opéra comme un chez-soi et où l’on se rend comme on irait au « bureau » (rires).
Je travaille évidemment beaucoup avec Barenboim et j’ai encore de beaux projets avec lui. C’est quelque chose d’important dans ma carrière.
La salle est, de plus, de taille complètement humaine avec une belle acoustique et c’est un lieu idéal pour des prises de rôles. Cela peut me permettre de chanter certains rôles que je ne peux pas encore chanter dans des maisons plus grandes.
Néanmoins, il est certain qu’avec la réflexion qui est la mienne aujourd’hui sur ma carrière, je vais devoir regarder comment je laisse une place à la troupe, comment je continue à jongler avec le statut de salariée que j’ai à Berlin et mon statut de free-lance.

Merci, Elsa, il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter de bonnes répétitions et à attendre ces Puritains à l’Opéra Bastille.

© Sébastien Mathé et Simon Fowler

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