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Blanquer et l’écriture inclusive : une position idéologique

Blanquer et l’écriture inclusive : une position idéologique

06 May 2021 | PAR Julia Wahl

Jean-Michel Blanquer a déclaré au JDD vouloir interdire l’usage de l‘écriture inclusive dans les écoles au motif qu’elle exclurait – ce serait son paradoxe – les élèves les plus fragiles, en particulier les dyslexiques : “mettre des points au milieu des mots est un barrage à la transmission de notre langue pour tous, par exemple pour les élèves dyslexiques.” Une prise de position qui, sous couvert de bon sens et de rationalité, cache mal le le parti pris idéologique qui la sous-tend.

Une prise de position idéologique 

Une première remarque s’impose concernant cette prise de position du Ministre de l’Éducation nationale : l’écriture inclusive, au sens où il l’entend, est, de fait, très peu pratiquée par les enseignant.e.s et à peu près absente des manuels scolaires. On peut alors s’interroger sur la nécessité d’une telle déclaration. Il semble bien qu’il s’agisse là avant tout d’un marqueur idéologique de la part du ministre, plutôt que d’une mesure réfléchie.

L’argument de l’efficacité 

L’argument de l’efficacité – celle de faciliter l’alphabétisation des élèves dyslexiques – est ensuite peu recevable lui-même, ou du moins en incohérence avec nombre de prises de position du même bord politique. Si la multiplication des signes graphiques ne facilite pas la lecture, pourquoi conserver digrammes, trigrammes et signes diacritiques comme les accents ou la cédille, dont le français est si friand ? Songeons aux nombreuses façons que recèle la langue de Molière d’écrire le son [o] : o, os, ot, ôt, au, eau, aux, eaux… Autant de graphèmes homophones qui demandent un apprentissage long et parfois douloureux, que personne, pour autant, ne remet en question. L’apprentissage des dates, notamment dans leur forme chiffrée (06/05/21), est lui aussi très laborieux et exige de la part des jeunes élèves une véritable gymnastique mathématique pour convertir un mois de l’année en chiffre. Et ne parlons pas des règles d’accord du participe passé et des verbes pronominaux, qui hantent longtemps les cauchemars des élèves ! Ce deux poids-deux mesures laisse donc songeur.se.

Une approche statique du français 

Un petit coup d’œil à nos voisin.e.s européen.ne.s permet de s’en assurer : alors que la France peine encore à faire appliquer une réforme de l’orthographe vieille de plus de trente ans, les Italien.ne.s ou les Allemand.e.s ont depuis longtemps simplifié leur orthographe. S’il s’agissait véritablement de faciliter l’apprentissage de l’écriture, c’est sans doute par là qu’il faudrait commencer. Mais le second argument de Jean-Michel Blanquer se fonde au contraire sur une vision extrêmement statique de la langue (“Notre langue est le premier trésor français, celui qui nous relie tous et fait notre puissance mondiale. Elle ne doit donc pas être triturée ou abîmée”), alors même que sa richesse provient au contraire de son dynamisme.

Des enjeux caricaturés 

Rappelons par ailleurs que l’écriture inclusive n’est pas qu’une affaire de points, mais englobe également les noms et adjectifs épicènes (qui ont la même forme au masculin et au féminin), l’accord de proximité, le doublet (“Citoyens et citoyennes”) ou la féminisation des noms de métiers, datant de 1986. En distinguant artificiellement ces différents volets d’un même complexe (puisqu’il dit être partisan de la féminisation des noms de métiers), le ministre disloque et caricature le débat, volontairement ou par méconnaissance.

L’argument erroné de la tradition orthographique 

Car c’est bien d’un complexe qu’il s’agit : Eliane Viennot, professeure de littérature renaissante à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne et autrice de Le Langage inclusif. Pourquoi, comment ? (éditions Ix, 2018), rappelle que le point médian incriminé par Blanquer est une simple abréviation graphique du doublet mentionné plus haut, sur le modèle du point qui permet d’abréger “Monsieur” en “M.” : j’écris “Citoyen.e.s” pour éviter d’écrire “Citoyennes et citoyens”, plus long. Or, il ne viendrait sans doute pas à l’idée de grand monde de prétendre que “M.” est d’une difficulté de lecture absolue : c’est notre gymnastique de lecteur.rice.s qui nous permet de le décoder sans difficultés et l’on peut supposer qu’exercer tôt les enfants à cette lecture facilitera son apprentissage.

L’universitaire rappelle également que, au contraire de ce qui circule çà et là parmi les partisan.e.s du “bon sens”, c’est l’écriture inclusive qui est première, et non l’orthographe de l’Académie. Avant Vaugelas et consorts, nul.le ne songeait à soutenir que “Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte” (Bouhours, 1675, complété explicitement par Nicolas Beauzée : “Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle”). Comment prétendre encore que la langue serait neutre politiquement ? Ces exemples, au contraire, nous le montrent : le primat du masculin dans les accords n’est jamais que le reflet d’un état de la société à un moment donné. Si les académiciens du XVIIe siècle ont su modifier la langue pour la rendre représentative des mentalités du moment, pour quelle raison nous en empêcherions-nous ?

Visuel : Laetitia Larralde

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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