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Roman Polanski nommé aux César : réactions mitigées

Roman Polanski nommé aux César : réactions mitigées

03 February 2020 | PAR Hortense Milléquant

Mercredi 29 janvier, les nommés pour la 45e édition des César ont été dévoilés au matin. La sélection de Roman Polanski, en lice dans différentes catégories, amorce une nouvelle polémique.

 

La controverse a déjà eu lieu, l’an passé, à l’annonce des nominations lorsque J’accuse, le nouveau film de Roman Polanski, entre officiellement en compétition à la Mostra de Venise. La polémique continue en 2020.
Le film sur l’affaire Dreyfus est arrivé en tête des nominations, présents dans douze catégories, dont les plus prestigieuses : meilleur film, meilleure réalisation et meilleur acteur pour Jean Dujardin.
Le débat commence par un lapsus (volontaire ?) de Florence Foresti, lors de l’annonce des résultats : « Pour le César de la meilleure adaptation maintenant (…) : Roman Polanski pour je suis accu … J’accuse ». À partir de ce moment-là deux camps se forment : ceux qui trouvent l’humoriste géniale à l’image de l’article de Gentside le jour même. Ou ceux qui appellent à plus de sobriété comme Alain Jakubowicz, avocat et ex-président de la LICRA.

 

Des défenseurs de l’œuvre

À Venise, l’année dernière, le directeur artistique du festival, Alberto Barbera, estime qu’il est selon lui nécessaire de « séparer l’homme de l’artiste » et il ajoute : « pour moi, en tant que directeur de festival, ce qui compte, c’est qu’il a fait un grand film ». Et de son côté, la présidente du jury 2019, la réalisatrice Lucrecia Martel, même si elle est plus réservée quant à l’attitude à adopter car elle n’est pas allée à la projection officielle du film, elle a affirmé à l’époque : « je n’ai pas l’intention d’honorer l’homme, mais je pense qu’il est juste que son film soit ici à ce festival ».
Et cette année, pour la cérémonie des César, le président de l’Académie, Alain Terzian, adopte une ligne de défense différente de son homologue italien. Pour lui, les César ne sont « pas une instance qui doit avoir des positions morales ». Il ajoute également à l’intention des journalistes : « Sauf erreur de ma part, 1,5 million de Français sont allés voir son film. Interrogez-les. ».

Dans le monde du cinéma, Dominique Besnehard, l’ex-agent des plus grands acteurs français prend également la défense de Polanski. Interrogé par LCI, il pense que « les César, ce n’est pas le café du commerce de la justice. Les gens ont le droit de voter pour qui ils veulent. En plus je trouve que son film J’accuse est très fort, il aborde le thème de l’antisémitisme et c’est très important. » Il ajoute concernant la sortie de la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes : « Marlène Schiappa, elle ferait mieux de se taire, car Roman Polanski n’a jamais été condamné en France ! ».

Les défenseurs de Polanski sont d’autant plus légitimés dans leur rôle que la seule et unique victime avérée de Polanski (reconnu coupable de détournement de mineur en 1977) Samantha Geimer estime qu’il mérite un prix aux César. Sur Twitter, apprenant les multiples nominations du cinéaste, elle écrit : « Ce serait bien si Roman pouvait obtenir un prix bien mérité sans être suivi de mensonges flagrants sur ce qui s’est passé il y a 42 ans ».

 

Dissension au sein du gouvernement

En tout cas une chose est sûre : la nomination fait débat même dans les plus hautes sphères de la vie politique. La polémique fait rage jusqu’au sein du gouvernement : le ministre de la Culture et Marlène Schiappa se sont opposés par médias interposés.

Franck Riester a déclaré au micro d’Europe 1 : « Je suis en tant que ministre de la culture évidemment garant de la liberté de création, on ne doit pas confondre l’artiste et son œuvre, c’est-à-dire que je m’oppose à toute forme de censure, à tout boycott d’œuvre. D’ailleurs, j’ai condamné à l’époque le fait que certains ou certaines bloquaient, ici ou là, de sorte à ce que les spectateurs ne voient pas le film. » Il dit également que l’Académie des César est « libre de ses choix et de son mode de fonctionnement » et qu’ « il ne me revient pas d’intervenir dans sa procédure de nomination, ni de définir les conditions d’éligibilité des films ».
Il a évidemment rappelé son engagement contre les violences sexistes et sexuelles car « le talent n’est pas une circonstance atténuante ; le génie, pas une garantie d’impunité. » et qu’une œuvre, « si grande soit-elle, n’excuse pas les éventuelles fautes de son auteur ».

De son côté, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes fustige la cérémonie des César 2020 : « Je serais indignée de voir une salle entière debout en train d’applaudir une personne accusée de viol ». Elle s’interroge également « sur le message envoyé et je n’ai pas le sentiment que le cinéma français ait fait sa mue en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. ».
Même si elle rappelle qu’elle est, comme Franck Riester, contre le boycott, elle estime que si « On nous dit souvent ‘il faut distinguer l’homme de l’œuvre’, mais là, c’est à l’homme que l’on propose de remettre des récompenses comme Meilleur réalisateur, comme Meilleur scénariste, donc je ne vois pas de distinction. ».
Interrogée sur LCI par Élisabeth Martichoux, qui lui demande : « Il y a en a certains qui font le parallèle entre Roman Polanski et Ladj Ly (…) Quelle est la différence dans le fond ? », elle répond alors « il n’y en a pas ».
La journaliste pointant du doigt le fait que la cabale médiatique n’en concerne qu’un des deux. Ils ont été pourtant tous les deux récompensés à la cérémonie des Lumières 2020 : le prix du meilleur film pour Les Misérables de Ladj Ly et celui de la meilleure mise en scène pour Roman Polanski et son film J’accuse, en outre ils sont tous les deux nommés aux César, douze fois pour Polanski et onze nominations pour Ladj Ly. Marlène Schiappa a expliqué qu’elle est « assez surprise qu’on porte aux nues quelqu’un qui manifestement a eu un comportement de la sorte ».

 

Des insurgés …

Aux côtés de la secrétaire d’État, d’autres voix se sont élevées contre les multiples nominations de Roman Polanski aux César. Parmi elles se trouvent bien évidemment les associations féministes. Elles étaient déjà en première ligne lors de la sortie du film en novembre dernier, quand Valentine Monnier avait accusé le réalisateur de viol quand elle avait dix-huit ans. Les faits, qui remonteraient à 1975, sont aujourd’hui prescrits.
À l’avant-garde du combat, à l’époque, elles montent aujourd’hui encore au créneau, à l’image de Rokhaya Diallo, au micro de RTL le 30 janvier, qui déclare qu’ « à ce jour, Roman Polanski est un fugitif… Ces nominations sont choquantes ».

Comme Rokhaya Diallo, l’association Osez le féminisme ! s’insurge sur Twitter : « N’avons-nous rien appris de #METOO ? Tandis qu’aux US, Weinstein risque la prison à perpétuité, qu’en France, Adèle Haenel brise l’omerta sur l’impunité des violeurs dans la culture. @Les_Cesars acclament un #pedocriminel #violeur en cavale ? ». Et sa porte-parole, Céline Piques, se déclare quant à elle sur Europe 1 « choquée de cette cécité du monde du cinéma ». Elle se demande également où sont ceux qui ont défendu Adèle Haenel quelques jours avant. Pour elle, « les mêmes qui ont soutenu Adèle Haenel acclament Roman Polanski. ». Elle se dit également : « réellement sidérée par le soutien plein et inconditionnel du milieu du cinéma français qui le consacre avec 12 nominations. 12 nominations, comme les 12 femmes qui l’accusent de viols. C’est inadmissible ». Céline Piques donne d’ailleurs rendez-vous devant la salle Pleyel le soir de la cérémonie : « Concrètement, on va venir avec des dizaines voire des centaines de féministes, avec un certain nombre de pancartes, par exemple : “si violer est un art, donnez à Polanski tous les César”. Ce sera certainement l’un de nos slogans ».

Active au sein du groupe féministe La Barbe, Alice Coffin, pour sa part, estime qu’ « il est grand temps pour les professionnels du cinéma de se distancier nettement des César. J’ose espérer qu’une grande majorité d’entre eux ainsi que Franck Riester refuseront d’assister à la cérémonie ».

L’actrice française, Blandine Pélissier, de son côté, se dit « sidérée » par la nomination de Polanski aux César. Elle poursuit en disant que « C’est terrible. C’est non seulement une cause perdue, mais ces nominations sont aussi un signal très fort envoyé par l’académie des César, masculine et blanche, aux femmes qui militent pour l’égalité ». Pour la co-fondatrice du mouvement HF qui milite pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la culture « Ça veut dire que même dans le sillage du mouvement #MeToo, on n’arrive pas à lever l’omerta en France. ».

Autre militante féministe, Léonor Guénoun qui appartient elle au collectif Nous Toutes, montre du doigt la déconnexion de l’Académie par rapport au monde réel : « En donnant de la visibilité à un artiste mis en cause pour viol sur mineur, les César 2020 ont un énorme retard sur la compréhension de l’ampleur des violences sexistes et sexuelles contre les enfants en France. »

Et la dessinatrice de bandes dessinées, Pénélope Bagieu, également féministe assumée se dit désespérée face à ces nominations. L’auteur de Culottées explique que « C’est tellement un pied de nez à tout ce qui a été fait, à tout ce qui a été dit, de dire : ‘peu importe on va quand même le célébrer’. (…) Au moins, ça tord le cou à l’idée que les accusations peuvent briser la carrière de quelqu’un car vraiment sa carrière n’est pas du tout brisée ». Même si elle est contente de la nomination de Céline Sciamma, ouvertement féministe, aux César pour Portrait de la jeune fille en feu : « C’est toujours ça de pris ! », a-t-elle lancé.

Mais il n’y a pas uniquement des femmes qui fustigent le choix des nominations, Olivier Ciappa, artiste français, a lui aussi réagit sur Twitter avec véhémence : « Amis de l’Académie des #César qui avaient voté pour #Polanski parce que vous considérez qu’il faut séparer l’homme de l’artiste. Merci de ne plus jamais m’adresser la parole. Vous aviez un devoir moral et un message de soutien à toutes les femmes à faire passer. Bonne journée ».

 

J’accuse récompensé ?

Il est important de souligner qu’il y a trois ans, Roman Polanski a été empêché de présider la 42e cérémonie des César, face aux pressions des associations féministes et de la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, qui jugeait sa désignation choquante et surprenante. Aujourd’hui, en lice pour de nombreuses récompenses et choisi par ses pairs, ces nominations ont sûrement des airs de revanche pour le cinéaste.
Il est arrivé en tête des nominations, c’est-à-dire que sur les deux cent vingt films en compétition pour le César du meilleur film, l’Académie (composée de quatre mille trois cent treize électeurs inscrits pour les César 2020) a choisi de lui donner la possibilité de gagner le fameux prix. Les votes sont anonymes et la liste des membres est confidentielle.
La cérémonie promet, au minimum, d’alimenter la glose voire même d’être mouvementée : si Roman Polanski est présent dans la salle (ce qui n’est pas certain car il n’est déjà pas allé récupérer son prix de la mise en scène aux Lumières 2020, en janvier dernier), certains pourraient choisir d’utiliser leur temps de parole pour en faire des tribunes.
En tout cas, une chose est certaine, même dans l’hypothèse où il n’est pas récompensé, trois ans après avoir été contraint d’abandonner son rôle de président des César, soutenu par ses pairs, il rentre dans la compétition par la grande porte.

Peut-être que pour couper court à toute polémique, les César ne récompenseront ni Polanski, ni Ladj Ly pour le César du meilleur film ?
Rappelons qu’il y a cinq autres films en lice pour ce trophée dont La Belle Époque de Nicolas Bedos, qui a lui aussi obtenu onze nominations. Il y a encore Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma avec dans l’un des rôles principaux, Adèle Haenel, également nommée pour le César de la meilleure actrice.

Pour le savoir, rendez-vous le 28 février prochain !

La cérémonie sera présidée par Sandrine Kiberlain, qui succède ainsi à Kristin Scott Thomas, et présentée, comme en 2016, par Florence Foresti.

 

Visuel : © Affiche du film J’accuse – Gaumont

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One thought on “Roman Polanski nommé aux César : réactions mitigées”

Commentaire(s)

  • luc nemeth

    ils ont bien de la chance, ces gens qui prétendraient causer à Polanski un préjudice supplémentaire au motif d’un fait survenu il y a… 42 ans et dont c’est peu dire qu’il lui aura déjà causé un lourd préjudice, de voir les micros complaisamment tendus dès qu’ils ouvrent la bouche

    February 8, 2020 at 16 h 24 min

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