
Dans La Place royale de Corneille, Denis Podalydès mène la danse
En montant La Place royale de Corneille au théâtre du Vieux-Colombier, Anne-Laure Liégeois passe outre la supposée jeunesse frivole et flamboyante de la pièce pour en livrer une version plus mure, menée à vive allure mais empreinte de gravité.
La place des Vosges est ici une salle des fêtes un peu miteuse. Un air faussement festif avec des boules à facettes et une musique sirupeuse ne masque ni la laideur du lieu ni l’atmosphère « gueule de bois », morose et torturée qui y règne. Dans un contexte contemporain, Anne-Laure Liégeois met en scène des personnages toujours insatisfaits car trop aimés ou pas assez, enfermés dans leur solitude et leur déprime. A l’exception de l’irradiante et libre Phylis d’Elsa Lepoivre, Clément Hervieu-léger fait un Doraste gringalet et dégingandé, las, plaintif, Eric Génovèse, un Cléandre pénétré d’un spleen sombre, Florence Viala, une Angélique subtilement éplorée et émouvante. On rit aux dépens des personnages dont les cœurs amoureux sont rudement mis à l’épreuve et trompés.
Une lecture sombre donc, intéressante aussi car elle tranche net. A la fin, la belle Angélique part pour le couvent et renonce à l’amour qu’elle porte à Alidor. Dans cette mise en scène, elle le quitte, laissant sur les lèvres de son amoureux un dernier et hâtif baiser, preuve de sa passion amoureuse qui n’est pas éteinte, tandis que lui, peu aimant, file pour une dernière danse dans les bras d’une autre femme, mystérieuse et originale anonyme, dans une robe pailletée et sur de hauts talons, muette et abandonnée sur un banc au fond. La cruauté du dénouement a rarement été aussi bien montrée. C’est peut-être tordre le cou à la pièce et à son sous-titre que de présenter son protagoniste comme un macho qui ne sait aimer et n’aime point, mais c’est aussi l’éclairer d’une nouvelle manière, assurément moderne.
Alidor, ce philosophe qui, par peur de devenir l’esclave d’une tyrannie amoureuse, veut échapper à l’amour entier et absolu qui lui porte Angélique pour jouir de sa liberté, est campé magistralement par Denis Podalydès. L’élégance négligée, le cheveux long, la barbe pas rasée rappellent son étrange et formidable Matamore sous la direction de Galin Stoev. Il est à la fois méchant, inconséquent, penaud et céleste. Tous les comédiens adoptent un jeu lumineux et douloureux, nuancé, intelligent et sensible.
Photo : Christophe Raynaud de Lage