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“ Qalqalah, plus d’une langue”, l’exposition au CRAC de Sète met à l’honneur la langue dans tous ses états.

“ Qalqalah, plus d’une langue”, l’exposition au CRAC de Sète met à l’honneur la langue dans tous ses états.

10 March 2020 | PAR Marjorie Le Meur

«Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne » d’une actualité sans précédent, les propos de Derrida résonnent dans l’exposition. Parce que l’on ne possède jamais une langue et qu’une langue ne nous possède jamais entièrement, les artistes présentés au Centre Régional d’Art Contemporain (CRAC ), Lawrence Abu Hamdan, Sophia Al Maria, Mounira Al Solh, Noureddine Ezarraf, Fehras Publishing Practices, Benoît Grimalt, Wiame Haddad, Vir Andres Hera, Can Altay, Serena Lee, Ceel Mogami de Haas et Sara Ouhaddou, questionnent les rapports de pouvoir, d’influence et de poésie des langues.

Textes, mots, signes tapissent les hauts murs blancs de l’exposition. Les lettres d’alphabets divers s’entrecroisent dessinant la diversité des écritures ; les langues communiquent au travers de l’écho d’assonances : désormais, le public peut naviguer entre les langues, remarquant les correspondances textuelles parmi la diversité des typographies. L’intervention graphique de Montasser Drissi enserre les œuvres et chemine sur les murs, veillant à ne laisser aucun espace vacant, embrassant l’idée peut-être qu’au sein même du silence, une parole demeure toujours.

Les travaux des artistes dévoilent une histoire bercée par les langues. Arabe, anglais, français se conjuguent pour livrer un discours singulier. Alors, puisqu’il n’existe de parole sans corps, l’oralité devient motif des œuvres, matérialisée par un fatras métaphorique (Serena Lee et Ceel Mogami de Haas) composé de nourritures, de cigarettes ou d’une bouche, de tout ce qui a trait à l’ingestion ; symboles du corps qui parle et qui écoute.

Lawrence Abu Hamdan, notamment, interprète cette écoute en des termes politiques en rapport aux discriminations liées aux langues. Au travers d’une série de documents où sont inscrits « En attente » ou « Rejeté », signifiant l’obtention ou le refus du statut de réfugié à des somaliens exilés, l’artiste expose les travaux portés par des pays européens (Belgique, Allemagne, Pays Bas) qui récemment ont engagé des sociétés privées afin d’analyser les voix et les accents des demandeurs d’asile. L’artiste révèle l’injuste capacité de la langue à figer des individus en les associant à une communauté, un territoire ou une représentation.

Alors, comment la langue est-elle vécue par ceux qui la subissent ? Matériaux, supports et catégories sociales se mélangent en s’interrogeant quant aux rapports de pouvoir, aux valeurs économiques, symboliques ou affectives spécifiques aux langues. En ce sens, les artistes se font porte-parole des autres en traitant du colonialisme de la langue, ses effets et ses enjeux. Pour ce faire, une touche de gaieté insolite est engagée par le collectif Fehras Publishing Practices qui prend le micro pour un karaoké revisité en interprétant des critiques institutionnelles bilingues sur les bandes-sons des musiques de J-Lo ou des Destiny’s Child (à ne pas manquer!).

Car, sans silence la parole n’est pas, la dernière salle de l’exposition lui est entièrement dédiée. Wiame Haddad, Benoît Grimalt, Sophia Al Maria, Noureddine Ezarraf et Can Altay se sont réunis pour illustrer ce que l’on tait. En exposant plusieurs récits non-dits, ils redonnent vie à une parole cachée, enfouie, oubliée et clôturent l’exposition dans un nouvel élan évocateur.

Espace témoin de récits pluriels, l’exposition “Qalqalah” – définie par Sarah Rifky comme “un mouvement du langage, une vibration phonétique, un rebond ou un écho” – matérialise la parole et déconstruit les discours afin de saisir les méandres du langage. Un grand remerciement aux commissaires d’exposition, Virginie Bobin et Victorine Grataloup à l’origine du projet, pour la finesse de leur médiation.

 

Qalqalah, plus d’une langue

Du 7 mars au 24 mai 2020

Crac – Centre Régional d’Art Contemporain Occitanie / Pyrénées – Méditerranée à Sète

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Marjorie Le Meur

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