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Feu ! Chatterton : “ce n’est pas de la poésie, ce n’est pas de la littérature, c’est de la chanson” [Interview]

Feu ! Chatterton : “ce n’est pas de la poésie, ce n’est pas de la littérature, c’est de la chanson” [Interview]

09 March 2018 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Aujourd’hui sort L’Oiseleur, le nouvel album de Feu ! Chatterton. Un petit bijou poétique, aux textes magnifiquement écrit et à la musique addictive. Rock, pop, rap, electro, le quintet ose désormais se déclassifier. Rencontre avec le chanteur, Arthur Teboul.

 

Est ce que les textes sont de vous ?

Oui !

C’est bien ce que j’avais senti 

Il y a aussi une chanson qui est une adaptation d’un poème d’Aragon, et des textes d’Eluard sur Le Départ.

Oui et il n’y a pas qu’Eluard, vous citez René Char et Apollinaire…  la poésie est tout le temps partout, donc je voudrais savoir : quand vous étiez enfant, qui était votre poète préféré et le poème que vous gardez toujours avec vous  ?

 J’ai le souvenir d’avoir récité comme premier poème en classe de primaire, “l’Écolier” de Jacques Prévert. « Il dit oui avec la tête, il dit non avec le cœur », je me souviens de ça, ce sont mes premières émotions poétiques. En relisant Jacques Prévert aujourd’hui, je me suis rendu compte que ce n’était pas de la poésie uniquement pour les enfants. Les grands poètes ont ça je crois, pouvoir traverser les âges et les périodes de la vie. On peut être touché par quelques mots quand on est enfant et d’autres plus tard… C’est les belles choses comme ça.

Et vous lisez beaucoup de poésie ? Est-ce que c’est pour vous un art littéraire majeur ?

Oui. Je lis surtout de la fiction et des romans mais pour cet album j’ai beaucoup lu de poésie. En fait, ce qui me plait avec les recueils de poèmes, c’est qu’on peut les ouvrir à n’importe quelle page et voir si ça nous tente, comme un jeu de cartes. J’aime bien l’idée du jeu de cartes, comme un art divinatoire. En septembre, il y a plus d’un an quand j’ai commencé à écrire le disque, j’étais dans le sud de l’Europe, au bord de la Méditerranée, en Espagne et en Italie et j’avais des recueils de poèmes dans mes poches : il y avait Alcools d’Apollinaire et le Marteau sans maître de René Char notamment. Et ce que j’aimais bien faire c’était de me retrouver à un endroit et ouvrir le bouquin à une page, et comme je n’ai pas du tout de solennité envers le poète, je ne considère pas ça comme un art sacré.  Justement, c’est ça qui me touche, c’est un art très chaleureux, c’est très vivant. Ce que j’aimerais dire aux gens qui disent que la poésie c’est élitiste  : non la poésie, est dans la rue, elle est partout.

Oui de toute façon c’est ce que vous défendez  dans cet album. J’ai l’impression que chaque titre est pensé comme un titre de poèmes. Comment écrivez-vous ? 

Cela dépend encore plus aujourd’hui qu’hier. Je viens de l’écriture, du texte. Je ne savais pas chanter, je ne connaissais pas la musique. J’écrivais des textes en entier, qui étaient plus vus comme des poèmes, autonomes. Ensuite on essayait de les mettre en musique. Avec les années,  c’est devenu de la chanson, ce qui nous plait.  Il y a un équilibre entre le travail sur les mots et le travail sur la musique. Il faut que les deux se marient avec humilité et du coup je n’écris plus du tout de la même manière. Là, j’ai des petits carnets où j’écrivais quelques phrases, quelques notes, mais je savais qu’il ne fallait surtout pas que j’achève une histoire avant d’en faire la musique, parce que ça allait limiter le monde des possibles pour le mettre en musique. Un texte achevé a son harmonie, un terme, et du coup il devient rétif quand on essaye de le fondre dans la musique. Donc là j’avais quelques phrases, des idées, des moments et en travaillant avec les copains on a fait la musique, et hop ça nourrit le texte, on change de phrases… Il y a des choses que je ne me serais jamais permis d’écrire si ça n’avait été que graphique.

Par exemple ?

« Nous ne nous reverrons plus sur terre », alors qu’aujourd’hui, quand je le dis avec la musique je trouve ça très beau. Mais c’est parce que justement ce n’est pas de la poésie, ce n’est pas de la littérature, c’est de la chanson.

Au niveau des thèmes que vous abordez, entre Ginger, Tes yeux verts, L’ivresse, on a l’impression quand même qu’avec les femmes ce n’est pas simple

C’est marrant parce que dans le premier album, les héroïnes mourraient (rires), je faisais mourir les héroïnes, ma mère s’inquiétait (rires) y avait ce truc un peu du style « pourquoi tu fais mourir toutes les femmes ? »  Tu tombes amoureux et elles meurent dans un incendie, elles meurent partout.

Là il y a les ruines aussi …

Mais elles ne meurent pas ! Dans le premier album elles mourraient mais là, elles meurent pas parce qu’en fait ça fait de jolies fins, c’est un point très net. Et là c’est justement le contraire : c’est continuer à faire vivre un souvenir tout en acceptant l’idée que ça ne soit plus un souvenir, voilà c’est une variation d’idées autour de ce thème-là. Voilà, l’album parle de ça. Il parle de l’absence, de l’absente, de quelque chose en creux, de l’idée de quelque chose de fini mais avec lumière. Faudrait imaginer qu’on est en partance avec le soleil dans le dos, qu’on ne se retourne pas pour le regarder à nouveau mais qu’il vous réchauffe quand même et que ça peut suffire, car il y a plein de choses encore à vivre. Ça parle beaucoup de ça, de l’idée de partir, de retrouver soit un paradis perdu, soit une terre promise. Aussi l’idée simple de constats amers : si on vit quelque part et que la terre est brûlée, qu’on sait qu’elle n’aura plus de fleurs à nous donner, de fruits ou d’arbres, alors il va falloir partir. Sauf que la griserie et l’inquiétude vientnent quand on sait qu’on doit partir, mais on ne sait pas ce qui nous attend de l’autre côté du fleuve, de l’autre côté du pont …  

C’est aussi une question sur l’exil …

Oui sur l’exil aussi, et la nécessité de l’exil, on pourrait dire la fuite mais c’est pas vraiment ça, parce qu’on pourrait rester, s’accrocher à cet arbre mort, à cette terre brûlée.

Est-ce que géographiquement, vous situez cet album, est-ce qu’il se passe dans des villes particulières ?

Pour moi, c’est une carte géographique : l’album est comme une île en fait, avec l’endroit où il resterait des ruines, un endroit où il y a un grand arbre fruitier, des oiseaux, un rivage, un rocher… Je le vois un peu comme ça : l’album est lui-même un endroit.

Vous avez une voix très particulière, très reconnaissable, et quand vous dites le mot soleil, c’est très particulier, et j’ai l’impression que c’est un mot que vous adorez chanter et que vous adorez prononcer. Est-ce que je me trompe ?

Non, parce que quand vous dites ça, ça me fait frissonner (rires)

Ah c’est vrai ?

Parce que parfois on met des choses dans les chansons pour soi-même… En faisant les chansons, on se rend compte des choses sur soi-même, c’est une sorte de miroir un peu déformant et aussi réconfortant pour soi-même. Je pensais que ça resterait secret longtemps cette idée du soleil, mais je trouve ça très chouette que ça se soit vu parce que c’est vrai. C’est marrant on parle que des thèmes du départ : ruptures, revenir dans les ruines etc. et comme ça, ça a l’air plombant. Mais en fait à chaque fois dans presque toutes les chansons, il y a un oiseau ou le soleil. Le soleil qui vient taper sur les ruines, les ruines qui sont recouvertes d’une végétation nouvelle et le fruit qui après être tombé, revient à l’arbre.

Le soleil  est un peu un mot totem, compagnon ?

Oui je l’ai découvert comme ça, j’aime bien le dire. Dans Grace je le dis beaucoup.

Je vous avais vu sur scène, à Avignon au musée Calvet, avec Éric Reinhardt, superbe lecture autour de son texte  L’amour et les forêts et quand on écoute cet album…

D’ailleurs c’est ce jour-là que l’album a commencé à naître ! 

Donc est ce que cette expérience là à Avignon vous a donné l’envie de faire du théâtre ?

La scène, le théâtre ? Vous dites théâtral, et moi je vous dirais plus filmique, je veux dire que les chansons ont été conçues comme des films, au sens où la différence peut être dans la narration, la manière de raconter. Un film permet un mash-up d’évocations, d’images pas forcément corrélées dans la narration. Au théâtre, c’est plus dur à faire parce que le personnage est là et on ne peut pas sauter d’un espace-temps à un autre, d’un temps à un autre. Sans doute, cette chose-là que vous remarquez n’est pas du tout consciente pour nous, mais elle vient du fait qu’on fait beaucoup de concerts, on a en a fait plus de deux cent et on vit pas l’expérience du concert pas uniquement comme de la musique. C’est très important pour nous qu’il y ait un rythme tenu du début à la fin, ça nous a imposé de construire nos concerts un peu comme un récit, d’où une intention qui est proche de celle du théâtre enfin un effort qui est proche de l’effort de l’art dramatique, la mise en scène. Alors c’est compliqué parce qu’il faut garder un peu de naturel, il faut garder du risque et en même temps que ça se tienne comme une pièce écrite. Et on aime bien être à l’interstice. Mais moi j’aimerais bien faire des trucs. J’ai déjà fait un peu de théâtre, et c’est assez proche de l’art de la scène, des musiciens, donc je suis plus tenté par l’idée du cinéma parce que ce serait plus exotique, plus une récréation que la scène.

Au début de l’interview vous m’avez dit que vous veniez du monde de l’écriture, ça veut dire quoi ? Que vous avez  appris à écrire ?

Non ce que je veux dire, c’est que je ne sais pas jouer d’un instrument, que je ne connais rien à l’harmonie, au solfège tout ça, et je chantais pas du tout, c’est pas du tout quelque chose que je fais depuis tout gamin. C’est avec le groupe que j’ai découvert le plaisir du chant, que peut-être je pouvais le faire, et que j’avais une oreille assez attentive parce que j’ai toujours été grand mélomane et ça, ça me vient de ma mère. C’est quelque chose que j’ai découvert avec le temps mais quand je dis que je viens du monde de l’écriture, c’est plus par rapport à mon instinct, mon truc d’enfant… enfin mes copains d’école, ils jouaient de la guitare mais moi quand j’étais enfant j’écrivais des textes, ça m’est venu déjà par la chanson. Ce qui m’a donné envie d’écrire des textes, (je dis des textes parce qu’ils n’avaient pas de formes), c’est la chanson, qui m’a mené à l’écriture, qui m’a ramené à la musique. Ce n’était pas la lecture, c’était d’avoir écouté de la musique : Brassens, Charles Trenet…

Vous êtes souvent qualifié de « groupe de rock » mais j’ai plutôt l’impression que vous êtes dans la fusion, vous citiez Grace tout à l’heure où y a une tentation électro.

Nous on écoute beaucoup de musiques différentes, beaucoup de styles, on écoute beaucoup de hip-hop et on est déjà cinq ! C’est hyper chouette, cette aventure commune qui nous a lié un peu comme une sorte de destin où on s’est retrouvé à vouloir être ensemble alors même qu’au départ c’était pas du tout gagné. Antoine, qui était contrebassiste classique et qui écoutait beaucoup de musique électronique, détestait la musique chantée, il préférait la musique instrumentale, donc c’est étrange, il a rejoint un groupe avec un type qui fait que chanter et pour qui les mots sont importants. Et finalement, il s’est mis à aimer ça et découvrir la richesse du répertoire de la chanson française. Moi j’écoutais pas du tout de musique électronique ou de musique instrumentale, c’est que les chansons que j’aimais et Antoine m’a fait aimer ça profondément. Raph, le batteur lui écoute du jazz très pointu et de la musique africaine parce qu’il maîtrise le rythme et que c’est son obsession. Clément et Seb écoutaient beaucoup de musique progressive mais aussi du jazz, donc on aime plein de choses différentes et on s’est réuni et de fait les choses qu’on a envie de mettre dans notre musique sont là.

Nous sommes considérés comme un groupe de rock parce que sur le premier album il y avait la guitare en commun. Et donc oui on était un groupe de rock, mais là il n’y a même plus de guitare, ce qui vient du rock là c’est l’urgence, l’intensité, l’énergie qu’on a sur scène. Et aussi être un groupe avec des vraies guitares et une batterie aujourd’hui en France, c’est déjà être un groupe de rock. Si on se permet tout ça, c’est qu’on est guidés par l’histoire, les chansons, donc on pas besoin de se raccrocher à un style, on construit des petits fils. Donc si on raconte un moment un peu contemplatif d’une fille un peu féline qui descend d’une caravane comme Grace, ça devient une sorte de ballade assez rock seventies progressif. Quand c’est une cavalcade et il faut fuir la lave du volcan avec Ginger, là on a besoin d’associer un truc un peu jamesbondesque. C’est comme ça qu’on exprime les choses.

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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