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[Critique] du film « Les habitants » documentaire simplement à l’écoute de Raymond Depardon

[Critique] du film « Les habitants » documentaire simplement à l’écoute de Raymond Depardon

30 April 2016 | PAR Gilles Herail

Raymond Depardon a repris les routes hexagonales pour réaliser de nouveaux portraits de français, dans la continuité de sa série de Profils Paysans. Les habitants invente une forme documentaire étonnante, qui libère une parole intime, en restant simplement à l’écoute, sans interférer. Une galerie de conversations, moins anodines qu’elles n’y paraissent, toujours passionnantes, qui provoquent des émotions et font réagir.   Notre critique.

[rating=4]

Extrait du synopsis officiel : Raymond Depardon part à la rencontre des Français pour les écouter parler. De Charleville-Mézières à Nice, de Sète à Cherbourg, il invite des gens rencontrés dans la rue à poursuivre leur conversation devant nous, sans contraintes en toute liberté.

Raymond Depardon est un artiste touche-à-tout, journaliste, photographe, scénariste et réalisateur, dont l’oeuvre est réunie par une même fascination de l’humain. Ce regard particulier, qu’on retrouvait dans la série documentaire des Profils Paysans (L’Approche, Le Quotidien et La Vie moderne) Journal de France, 10e chambre, instants d’audience, ou dans les photos de La France de Raymond DepardonSon nouveau projet invente une forme cinématographique nouvelle, reposant sur un dispositif passionnant. Une invitation faite à des anonymes de continuer leur conversation dans la carvane du cinéaste, sans jeu de questions/réponses, sans thématique prédéfinie, sans regard extérieur, en toute liberté. L’intégralité du film est construit sur ce seul schéma, où la caméra, en plan fixe, suit les discussions de 25 duos, qu’ils soient amis, collègues, parents et enfants ou amants. Des scènes de dialogue entrecoupées par des transitions musicales (on a connu Bruno Coulais plus inspiré) qui permettent au spectateur de reprendre ses esprits et de suivre la caravane vers sa nouvelle destination.

Les habitants n’a pas d’intérêt sociologique, politique, historique et ne cherche pas la représentativité. Depardon assume la subjectivité de son montage, des témoignages qu’il a souhaité conserver, des extraits de conversations sélectionnés, des endroits visités. Et son nouveau film ne doit être vu comme une analyse sociétale de la France d’aujourd’hui ou des français. Les habitants propose simplement, et c’est déjà beaucoup, des extraits de vie, d’étonnantes confessions, des partages d’impression, de doutes, de joies et de peines. Des moments d’intimité, permis par l’ingénieux dispositif, que la caméra saisit et met à disposition du public, sans avis ni jugement. On est étonné par ce sentiment de proximité qui amène les participants à évoquer des sentiments très personnels, à distiller des petits bouts d’eux, à profiter de l’exercice pour dire des choses qu’ils n’auraient peut-être pas dites en dehors de ce cadre si particulier. Avec une variété de thèmes et de situations, qui rendent chaque instant du film unique.

Les Habitants va au delà de son festival d’accents et de tics de langage pour capter des moments plus profonds. On sourit parfois, mais aucun duo ne laisse indifférent, dépassant toujours le niveau de la simple caricature. Les extraits choisis évitent les débats politiques, les considérations abstraites ou les réflexions générales. Pour se concentrer uniquement sur les destins de vie, les difficultés et les espoirs, les grandes étapes de l’existence de chacun. Attendre un enfant, avorter ou garder le bébé, quitter ses parents, partir à Paris, passer le Bac, choisir ses études, se souvenir de l’avant, s’inquiéter pour l’avenir, espérer l’avenir, revenir chez soi, être grand-parent, espérer être grand-parent, ne plus maîtriser la vie de ses enfants, vouloir changer de boulot, supporter la jalousie de son conjoint, préparer son mariage. Chaque conversation nous emmène dans une situation de vie, à laquelle on peut, selon son propre vécu, plus ou moins s’identifier. Mais qui pose à chaque fois question et ne laisse jamais indifférent. Avec en toile de fond une vraie interrogation sur la dureté des rapports entre les hommes et les femmes, qui devient le fil rouge du film.

Il faut résister à l’envie d’analyser ou de tirer des conclusions, pour respecter l’esprit et l’intérêt du film : écouter, simplement, ces 25 duos qui ont envie de partager avec nous leurs interrogations et leurs réflexions du moment. Qui utilisent la caméra pour dire des choses qu’ils n’auraient osé dire, qui l’oublient pour continuer simplement leur conversation, qui jouent le rôle qu’on attend d’eux ou le dépassent. Le risque de voyeurisme social est bien là, et la salle perd parfois l’équilibre entre connivence et moquerie. Mais Les Habitants donnent toutes les clefs pour proposer au spectateur une expérience respectueuse et tout simplement passionnante.

Gilles Hérail

Les habitants, un documentaire français de Raymond Depardon, durée 1h24, sortie le 27/04/2016 

Visuels : ©  affiche et bande-annonce officielles du film

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