Politique culturelle
Interview : Antonio Manfredi nous parle de la destruction de l’art en Italie

Interview : Antonio Manfredi nous parle de la destruction de l’art en Italie

20 April 2012 | PAR Celeste Bronzetti

La protestation incendiaire avait commencé avec la mise à feu de son portrait d’un camorriste, exposé à la Biennale de Venise (voir notre article). Antonio Manfredi, directeur du Cam, le Musée d’art contemporain de Casoria, près de Naples poursuivra son combat en brulant peu à peu les 1000 oeuvres que son musée abrite. On l’a joint par télépone pour comprendre mieux l’entité de son action désespérée.

Un musée qui se condamne à l’autodestruction en brulant ses oeuvres : c’est une action extreme. Comment en-êtes vous arrivé jusque-là ?

( Ndlr ) Le directeur Manfredi répond à notre question avec une autre question. Il ne semble pas l’adresser à nous, mais plutôt, encore, au nombre d’interlocuteurs auxquels il s’adresse chaque jour depuis des années :

« Comment on arrive à une révolution? ». Sans attendre une réaction de notre part il continue : « Depuis des années je demande un soutien de la part des institutions locales et nationales. Je n’ai jamais eu de réponses. Figurez-vous que l’année dernière j’ai demandé l’asile politique à l’Allemagne, pour souligner l’abandon total dans lequel l’Etat Italien nous avait laissés. Bien que le président Angela Merkel ne m’ait jamais répondu, j’ai exposé le drapeau allemand en face du musée, en nous déclarant territoire allemand selon notre choix ».
« C’était bien sûr une provocation » il nous explicite, « Une provocation à une classe politique qui n’arrête  pas d’enlever des ressources au secteur culturel ».

Une provocation qui tombe dans le vide. Nous essayons de ramener la conversation sur la récente mise à feu des oeuvres et ce n’est pas difficile d’obtenir l’explication de cette idée presque blasphématoire :

« J’ai l’impression qu’en Italie il y a une sorte d’habitude à la destruction, comme une sorte de vaccin qui empêche aux institutions et à la population d’être atteints par l’inefficacité des structures d’état et la gangrène qui infecte le financement public. Mon action sert à démontrer que le véritable acte criminel c’est celui que les politiques commettent chaque jours en laissant que le patrimoine culturel italien meure sous les décombres des bâtiments qui l’abrite. La culture a besoin d’être respectée pour survivre ».


La passion avec laquelle Antonio Manfredi nous parle est un mélange de rage et enthousiasme pour les réactions de solidarité que le milieu culturel international lui montre depuis quelques jours :

« Le monde entier se scandalise devant ce geste extreme, mais l’Italie non. Je reçois des appels provenant de musées partout dans le monde; il y a des artistes qui n’ont aucune oeuvre dans notre musée mais qui ont suivi l’exemple en brulant leurs sculptures ou leurs tableaux ».

Votre action s’accompagne d’un appel officiel aux figures politiques?


« Oui, j’ai demandé au Ministre Lorenzo Ornaghi et au Président de la Région Campania Stefano Caldoro de me rejoindre au musée. Je voudrais juste leur montrer l’énorme capital artistique que le Cam possède. Ils m’ont toujours répondu que la situation du musée n’est pas de leur compétence ».


Je ne comprends pas, qu’est-ce que ça veut dire que ce n’est pas de leur compétence? C’est à qui la responsabilité des oeuvres abritées dans un musée national si ce n’est pas des représentants d’Etat?


« Oui. Vous touchez à une autre question centrale : le musée est né en 2005 comme organisme artistique sous la tutelle territoriale de la ville de Casoria. Mais la municipalité de Casoria vient de se dissoudre à cause d’un procès pour complicité avec la Camorra, la mafia locale, et maintenant le musée se retrouve sous le contrôle d’aucune autorité. Je ne sais plus comment nous définir : on n’est pas un musée privé, ni régional. On a survécu jusqu’à maintenant grace à des donations privées, mais les petites entreprises qui nous ont financé sont aujourd’hui soit des victimes de la récession, soit elles sont tombées sous le contrôle de la Camorra aussi ».


Paradoxalement l’Etat italien exploite cette situation de manque de définition institutionnelle du musée pour se déresponsabiliser :

« La fermeture du Cam est toujours plus proche, comme il est arrivé au Madre et à beaucoup d’autres théâtres et musées à travers de l’Italie. Notre protestation est aussi à leur nom ».

Donc, si j’ai bien compris, vous vous adressez désormais au monde de la culture tout entier, vu que les autorités politiques ne réagissent pas. Vous faites appel à la communauté culturelle mondiale?

« Oui, c’est la seule arme qui nous reste celle du combat et du combat à travers le langage de l’art. L’art est depuis toujours un langage puissant et cette initiative veut justement réveiller les consciences sur l’importance de l’art dans l’histoire et la culture de l’Italie. On veut montrer de façon artistique la destruction vers laquelle les hommes politiques italiens sont en train de conduire leur propre culture ».

La force des mots utilisée par Antonio Manfredi n’a pas besoin d’être accompagnée par un commentaire. Elle reflète toute seule la violence de ce dernier cri. Après l’oeuvre de l’artiste française Séverine Bourguignon, et les plusieurs incendies spontanés partout dans le monde, d’autres artistes ont autorisé la mise à feu de leur création.

On se demande jusqu’à quel degré d’indifférence les autorités politiques italiennes seront capables.

 

Abstract en italien:

Il direttore de Cam Antonio Manfredi ci ha concesso un’intervista telefonica appassionante, nel corso della quale ha chiarito nel dettaglio le ragioni che l’hanno portato a concepire una protesta tanto estrema. Ci ha spiegato come, secondo lui, l’indiffirenza delle istituzioni italiane sia il vero reato da condannare : la minaccia di mettere a fuoco tutte le 1000 opere del suo museo è solo l’ultima delle tante provocazioni che sono cadute nel vuoto in questi ultimi anni.

Il Museo d’arte contemporanea di Casoria protesta a nome di tutti i collaboratori volontari che hanno aiutato il museo a sopravvivere negli ultitmi anni, nonostante l’assenza totale di finanziamenti. Ma Art War è combattuta anche a nome dei maggiori centri culturali italiani, che hanno visto ridurre progressivamente le risorse distinate alla cultura, che sono stati di recente obbligati a chiudere. A nome di tutte le istituzioni, abbandonate dallo stato, che conservano il ricco patrimonio artistico italiano e che sono costrette ad una lotta quotidiana per conservarne la dignità e il valore.

 

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Celeste Bronzetti

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