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Relire l’identité artistique italienne

Relire l’identité artistique italienne

01 August 2022 | PAR Laetitia Larralde

Cet été, Nice met l’art italien de la deuxième moitié du XXème siècle à l’honneur avec Vita nuova, une exposition d’envergure au MAMAC qui se poursuit à la Villa Arson.

La nouvelle vie de l’Italie au MAMAC

Un peu plus de quarante ans après l’exposition du Centre Pompidou de Paris Identité italienne conçue par Germano Celant, fondateur du mouvement Arte Povera, le MAMAC reprend le sujet de la scène artistique italienne, en le limitant entre 1960 et 1975. Si cette scène est dominée par les artistes de l’Arte Povera, l’exposition l’ouvre à d’autres courants, à d’autres artistes (et particulièrement des femmes) et à d’autres disciplines artistiques. Le MAMAC constitue ici un large panorama de la création italienne de cette époque, particulièrement foisonnante, en mêlant art, cinéma, littérature, design et culture populaire.

Les artistes présentés, nés entre 1920 et 1940, ont en commun de s’être formés dans un contexte historique difficile, marqué par la guerre et le fascisme, et d’avoir commencé à créer dans la période particulièrement violente des « années de plomb », de crise ouvrière et d’instabilité politique. L’Italie se transforme dans la douleur, s’industrialise, change de façon de consommer et de manière de se représenter. Au travers de trois thèmes, la société de l’image, reconstruire la nature et la mémoire des corps, le parcours de l’exposition recompose un portrait riche et bouillonnant de l’Italie de l’époque. Mais à l’image de leur pays qui peine à s’unifier, la scène artistique reste morcelée entre Milan, Turin, Gênes et Rome.

Tous ces artistes ont cherché de nouvelles façons de penser l’art et de créer, en adéquation avec les mutations de la société qu’ils vivaient. Le développement des médias influence les artistes et leur rapport à l’image, fixe ou animée. Si Lucia Marcucci recompose les images des magazines ou Mimmo Rotella déchire les affiches de cinéma, la plus grande ode à l’image se trouve dans l’âge d’or de la Cinecittà et ses réalisateurs mythiques comme Antonioni, Fellini, Visconti ou Pasolini, dont on célèbre le centenaire de la naissance cette année. Les stars côtoient la ville moderne, ses lumières et ses publicités, tous produits de la société de consommation.

De nombreuses questions qui se posent encore aujourd’hui sont soulevées à l’époque. La série de photographies de travestis et transsexuelles de Lisetta Carmi s’intéresse aux questions d’identité et de genre, Marisa Busanel remet en cause la place de la femme, quand Pier Paolo Pasolini interroge les jeunes sur la sexualité et le couple. L’industrialisation rapide pose la nature au centre des préoccupations de nombreux artistes, tels Pino Pascali ou Laura Grisi qui cherchent une simplification, une décroissance, une plus grande proximité avec les matériaux primaires. Et pour utiliser ces matériaux, le corps de l’artiste est le premier outil.

Vita nuova est une exposition transversale qui regorge de surprises et de découvertes. Plusieurs artistes, récemment redécouverts en Italie, sont exposés pour la première fois en France, et pour les plus connus d’entre eux, la sélection des œuvres s’oriente vers ce qui est plus rare, moins montré. Les techniques et matériaux utilisés sont extrêmes divers, allant de l’emballage cosmétique à la plume, en passant par le textile, le plastique ou les chutes de bobines de film, laissant l’idée d’une grande liberté d’expérimentation. Une scène riche, libre mais morcelée et complexe.

La scène contemporaine à la Villa Arson

Pour prolonger la visite, grimpez jusqu’à la Villa Arson. En collaboration avec le MAMAC, l’exposition Le Futur derrière nous reprend le sujet de la création italienne, de 1990 à aujourd’hui, et interroge la scène artistique contemporaine en regard de celle de 1960 à 1975. Comment ces artistes conçoivent-ils leur relation avec l’œuvre révolutionnaire et violente des années 1960-75 ? Eux qui n’ont pas vécu ces années peuvent-ils en témoigner, les réactiver ?

Au travers de thèmes comme l’architecture utopiste, les conditions en hôpitaux psychiatriques, le système judiciaire, la libération sexuelle ou la violence organisée, les artistes cherchent de nouveaux repères. Ils se raccrochent à la pensée ou à la forme, réutilisent ou prolongent, rendent hommage ou s’approprient, sans pour autant qu’une unité, une cohérence ne s’en dégage. L’exposition est complexe, la voir après Vita nuova est fortement conseillé.

En parallèle, la Villa Arson propose deux installations

Dans le cadre de la saison France-Portugal et du partenariat avec la Fondation Serralves (Porto), l’artiste portugaise Carla Filipe a conçu Hóspede [hôte], une installation pour la galerie carrée de la Villa Arson. Elle a repensé les 28 drapeaux des états membres de l’Union Européenne (jusqu’en 2019) sous forme des personnages identiques sur fond blanc, aux couleurs de chaque état et à la taille en corrélation avec leur poids économique dans l’UE. Le drapeau du Royaume-Uni est également présent, mais au sol, soulignant la fragilité de l’union. Son titre fait à la fois référence à celui qui invite et celui qui est invité alors que l’accueil des réfugiés ukrainiens remet sur le devant de la scène les questions liées aux migrants. Elle souligne l’équilibre fragile entre des pays alliés dont les liens reposent sur une dynamique qui pourrait s’inverser à tout moment.

Le collectif européen Clusterduck propose Meme manifesto, une cartographie du mème internet. Avec leur « detective wall », qui ressemble à ce que l’on voit dans les films policiers avec son accumulation d’images et de textes reliés par des fils rouges, le mème se transforme en complot géant. A partir de dix groupes de mèmes, Clusterduck analyse, classe et cherche une chronologie pour ces images souvent absurdes d’internet qui n’existent qu’en groupes, dans un échange. Mais ils soulignent qu’au-delà de leur apparence anodine, les mèmes ont un rôle dans la diffusion d’informations, de propagande ou de fake news.

Ces expositions nous rappellent que si l’histoire ne retient que les courants dominants, ils ont existé dans un contexte beaucoup plus vaste et complexe, qui mérite également que l’on s’y intéresse, ne serait-ce que pour mieux les comprendre.

Vita nuova – Nouveaux enjeux de l’art en Italie 1960-1975
Du 14 mai au 02 octobre 2022
MAMAC – Nice

Le futur derrière nous
Du 12 juin au 28 aout 2022
Hóspede [hôte] – Carla Filipe
Du 15 mai au 28 août 2022
Meme manifesto – Clusterduck
Du 15 mai au 28 août 2022
Villa Arson – Nice

Visuels : 1-Fabio Mauri, Marilyn, 1964, photographie et techniques mixtes sur papier, 100 x 69 x 10 cm © Collection privée, Milan – Courtesy the Estate of Fabio Mauri and Hauser & Wirth. / 2- Giovanni Anselmo, Particolare, 1972-2022, Projecteur à diapositives, diapositive avec l’inscription « particolare ». Collection privée, Turin. Courtesy Archivio Anselmo, Turin / 3- Lucia Marcucci, Miss Viaggio, 1964, technique mixte, 35 × 26 × 2 cm. Collection privée, Florence. © Photo : Riccardo Porcinai (Florence, Italie) – Adagp, Paris 2022 / 4- Vue de l’exposition « Vita Nuova. Nouveaux enjeux de l’art en Italie 1960-1975 » (14 mai – 2 octobre 2022), MAMAC, Nice. Giorgio Ceretti, Pietro Derossi, Riccardo Rosso, Pratone, collection Gufram, 1986, Centre national des arts plastiques. © Photo : Jean-Christophe Lett. / Archizoom Associati, Superonda, 1967. Galerie Mercier & Associés, Paris. © Centro Studi Poltronova. © Photo : Jean-Christophe Lett. 

5- Stefano Serretta, Uliano Lucas, Luca Vitone, Claire Fontaine. View of the exhibition Le Futur derrière nous, June 12 to August 28 2022, Villa Arson, Nice. Credit Jean Christophe Lett / 6- Francesco Arena , 18.900 metri su ardesia La strada di Pinelli, 2009, Slate of ardesia, Collection La Gaia, Busca, Italie. Credit Jean Christophe Lett / 7- Danilo Correale, Reverie – On the Liberation from Work, 2017, Installation, sound on record 20’, chaise lounge, carpet, record player, headphones. Courtesy of the artist. Credit Jean Christophe Lett

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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