Théâtre
Villa + Discurso : Comment se souvenir de l’horreur ? Telle est la question

Villa + Discurso : Comment se souvenir de l’horreur ? Telle est la question

10 October 2012 | PAR La Rédaction

Le Théâtre de la Ville redonne une place au discours sur la mémoire en accueillant le chilien Guillermo Calderón et ses deux pièces combinées en un spectacle sec, intense et au combien féminin. A voir, documenté sur le sujet.

La langue entre en chaque spectateur, progressivement, comme une musique, que l’on parle ou non espagnol. Car dans ce spectacle tout est discours, tout est mot, tout est langage. Comme un aveu que seuls les mots peuvent faire revivre les horreurs de la dictature chilienne de Pinochet, thème non central mais unique, obsessionnel même, de ce double spectacle composé de deux volets, en réalité deux textes réunis pour l’occasion par le metteur en scène et auteur Guillermo Calderón.

Le spectateur non hispanophone sera donc dépendant des surtitres affichés sur un écran en arrière-plan car ici le jeu ne passe que par le discours, comme le titre en donne un indice, Villa + Discurso. Trois actrices, trois femmes, assises autour d’une table se préparent à un vote qui s’annonce compliqué. Par ce biais, elles nous emmènent avec elles dans un débat impossible sur la mémoire et l’oubli, un choix déchirant pour trouver le symbole adéquat qui rendra hommage aux victimes passées par cette Villa Grimaldi, dont le nom n’est jamais prononcé. Quelle forme choisir pour témoigner des horreurs du passé (un musée, une reconstitution ?), telle est la question que ces trois voix triturent et remuent jusqu’à ressembler aux tons fébriles d’une même pensée déchirée par le doute et l’impossibilité de répondre à une telle demande.

Le spectacle retrace ainsi en deux temps deux moments de la dictature chilienne d’Augusto Pinochet. Le premier,Villa, se réfère donc à la Villa Grimaldi, où de nombreux marxistes ont été torturés avant qu’elle ne soit détruite et ait laissé plus de 5000 de ses anciens détenus disparus. Le second, Discours, tente une reconstitution imaginaire d’un discours inventé et prêté à une présidente du Chili sur le départ, que l’on devine aisément en la personne de Michelle Bachelet, élue en 2006 et ainsi devenue la première femme à la tête d’un pays d’Amérique latine – d’Amérique tout court. Femme élue, femme chassée, torturée ou victorieuse, victime ou rédemptrice, elle tente ici d’être toutes à la fois, dans ce flot à trois voix élancé debout par les mêmes actrices, presque sans transition,pendant une quarantaine de minutes dans un texte qui vire du politique au personnel, du public à l’intime d’une psyché torturée, clamant le retour de la joie de vivre, résonnant pourtant dans toute sa douleur. Un thème finalement universel, réduit dans ces textes à sa plus pure forme discursive, voire au monologue à multiples porte-voix. Au final, comme pour les trois femmes du débat, la question se pose de savoir si la douleur se raconte et si la mémoire se surmonte.

Ce questionnement torturant, à la fois discursif et intérieur, passe ici par les voix féminines plus que par toute autre forme, autour d’un décor minimal, et avec une force évidemment décuplée par le texte original en espagnol, oscillant entre désir de pardon et nécessité de la vengeance,au moins symbolique. Un beau texte porté par l’humilité et la retenue des actrices, plus fort que sa mise en scène.

Melissa Chemam

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La Rédaction

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