Théâtre
HHhH : la fulgurance d’Olivier Balazuc, grand acteur !

HHhH : la fulgurance d’Olivier Balazuc, grand acteur !

16 July 2012 | PAR Christophe Candoni

Dans le off du Festival d’Avignon, “HHhH”, le premier roman de Laurent Binet (Goncourt 2010 entre autres prix) est porté au théâtre par le metteur en scène Laurent Hatat. La pièce se donne à l’Entrepôt avant une reprise en octobre au Théâtre de la Commune à Aubervilliers.

Le roman comme son adaptation expose non pas un mais deux sujets mis en parallèle : d’abord un fait historique, celui du plan mis en place par deux parachutistes tchécoslovaques pour assassiner le dictateur nazi Reinhardt Heydrich, chef de la gestapo et des services secrets, et ensuite, une reflexion sur la production de littérature documentaire. La vie de Heydrich est en effet le sujet du livre qu’est en train d’écrire un jeune auteur sans parvenir à arbitrer sa volonté d’une restitution véridique des faits historiques et le processus de mise en fiction auquel il ne se résout de se soumettre. Comment transcrire fidèlement la réalité, comment ne pas la romancer ? Ces questions sont posées au coeur de la pièce qui livre un propos dense, cultivé et multi-référencé. D’ailleurs, une mention publicitaire est projetée sur écran de façon blagueuse pour chaque livre cité dans le spectacle.  Le spectacle n’est pas pour autant indigeste à condition de porter un certain intérêt à ce qui est raconté, pas nécessairement facile mais suffisamment limpide.

La mise en scène propose habilement plusieurs entrées dans le récit au moyen d’extraits vidéos de film mettant en scène la figure de Heydrich (on reconnaît “Le dictateur” de Chaplin) ou des romans à succès comme “Les Bienveillantes” de Jonathan Littel soumis à un jugement bien sévère, “Houellebecq chez les nazis” est-il dit. La critique est contestable mais sert justement le débat central de la pièce qui questionne la pratique selon laquelle un romancier retranscrit l’histoire par le prisme de l’invention.

La pièce est aussi l’histoire de l’intimité d’un couple qui batifole joyeusement dans la chambre à coucher. Un grand lit trône au centre du plateau. On est pourtant loin du vaudeville. L’esprit s’exprime, les corps aussi, nus au départ dans la moiteur des draps blancs. Cela n’est pas particulièrement nécessaire mais ne dessert pas le propos. C’est même plutôt malin de la part du metteur en scène de placer la conversation hyper pointue de ses protagonistes en la mettant en scène dans une situation de la vie de tous les jours. Natacha (délicate Leslie Bouchet) est la compagne de l’auteur et se fait l’oreille patiente et attentive aux récits passionnés. Elle participe elle-même à des jeux de rôles et lectures pour l’aider à progresser dans son travail. Puis, elle bascule dans l’ incompréhension, redoute les effets d’une telle fascination qu’exerce sur lui un homme réputé comme le plus dangereux du IIIe Reich et la manière dont il occupe intégralement sa vie pour finalement l’exclure elle.

Olivier Balazuc excelle dans une composition toute en maîtrise et en constante progression sans jamais lacher le morceau. Il est alerte, nerveux, exalté, hallucinant. Il dévore le rôle comme son personnage est dévoré par les livres et les connaissances au point de s’engouffrer dedans. Sa passion se transforme en folie ; elle l’isole, le ronge. Cette facette du personnage, Olivier Balazuc la joue remarquablement. Seul en scène pendant toute la seconde partie du spectacle, il narre l’issue de son histoire dense et un peu longuette dans laquelle on pourrait perdre pieds mais il nous tient de bout en bout, nous fait entendre et voir tout ce qu’il dit, intelligiblement, avec fulgurance.

A noter : Laurent Hatat met en scène également “Les Oranges ” d’Aziz Chouaki dans le Off à Avignon, notre critique ICI

Léonce et Léna magnifiés à l’Etoile du Nord
Hervé Joubert-Laurencin « monographie » Salò ou les 120 journées de Sodome de Pasolini
Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration