Théâtre
Pourquoi les vieux, qui n’ont rien à faire, traversent-ils au feu rouge ?

Pourquoi les vieux, qui n’ont rien à faire, traversent-ils au feu rouge ?

16 December 2022 | PAR Gautier Higelin

Jusqu’au 18 décembre, le Lavoir Moderne Parisien accueille le collectif international IN ITINERE pour une pièce qui questionne la vieillesse et la vie en maison de retraite. La routine, l’intimité et la mort traversent leur quotidien dans une mise en scène burlesque et dramatique.

Des masques et des corps

Oscillant entre tabou et refoulement de la mort, la vieillesse et la vie en EHPAD sont des sujets difficiles à traiter. Comment mettre des mots sur ce qui s’y passe et sur les relations humaines qui s’y jouent, entre résidents et personnels soignants ?

L’écriture du spectacle Pourquoi les vieux, qui n’ont rien à faire, traversent-ils au feu rouge ? par le collectif IN ITINERE s’adonne à ce sujet avec brio et justesse. La parole qui signifie est mise de côté pour faire parler le vécu des corps. Les visages sont grimés d’un masque confectionné par le facteur Lucien Cassou. Une manière de créer un effet de distanciation pour se concentrer uniquement sur les mains, les voix et la gestuelle des corps. Le tout est accompagné par de la musique, enregistrée ou jouée en live par un accordéoniste. De la nostalgie en chanson qui vient signifier l’indicible des résidents.

Dans un esprit comique qui dure tout du long, la première scène donne le ton. Deux résidents sont surpris dans leur cachotterie habituelle : s’asseoir sur un banc et fumer un cigarillo. Ce plaisir coupable mène à la mort d’un des deux résidents, entraînant, dans la narration, l’arrivée d’un nouveau. Une raison pour montrer, le temps d’une journée, ce qu’on y fait, ce qu’on y ressent. Si les scènes de jeux et les chamailleries hilarantes sont balançaient par les obligations médicales, la solitude, la fatigue et la fin de vie n’oublient jamais de se glisser entre les lignes, souvent en chanson.

L’humour et la justesse se fondent parfaitement à travers le jeu de corps et de voix des comédien.ne. s. Un travail remarquable qui sert l’intention de cette pièce : la mort est une façon de parler de la vie. La vieillesse se caractérise concrètement par une expérience individuelle avancée et le souvenir d’une jeunesse révolue. Cette réalité, qui a été transmise par les résidents d’EHPAD au collectif qui a écrit la pièce, permet de parler de leur quotidien et de leur intimité.

« C’est comme les poissons rouges, on tourne en rond »

Jeu de cartes, devine tête et séances d’aérobic rythment la journée des résidents. Fidèles au poste ou réfractaire sont logés à la même enseigne et la confrontation prête aux rires. À travers ce comique de situation, la moquerie n’a pas lieu d’être. C’est bien l’empathie, sourire en coin, qui vient s’installer au sein du public. Scène d’amour, de solidarité, d’amusement ou de détestation viennent s’adapter aux corps et au contexte de la vieillesse. Le rêve aussi appartient à ce quotidien qui se répète, tant dans le cauchemar de la guerre que dans le fantasme d’étreintes amoureuses.

La fin de vie comme révélateur de l’autonomie

Par le rire et le jeu des corps masqués, la pièce nous rappelle que les vieux, comme les enfants, sont des êtres autonomes qui peuvent faire des choix. Le personnel médical ou les parents ont le devoir, compliqué, d’accompagner et d’encadrer les difficultés que posent le corps et l’esprit de ces âges. Une certaine philosophie de la fin de vie est transmise à travers la pièce : les résidents montent un plan pour récupérer les médicaments et les donner à leur amie qui n’en peut plus de vivre. Même la collabo de service ne dénoncera pas cette énième cachoterie des résidents et viendra finaliser le plan en servant du champagne à tout le monde.

Un sentiment ambigu nous traverse, cette scène de suicide est festive. L’aboutissement de la vie est alors symbolisé dans ce travail collectif au service de l’autonomie. Un choix de mourir qui est un acte ultime de vie.

Visuel : © Neal Mc Ennis   

 

 

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