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Sylvère Petit, Lauréat de la Fondation Gan pour le Cinéma en 2022 (Interview)

Sylvère Petit, Lauréat de la Fondation Gan pour le Cinéma en 2022 (Interview)

16 December 2022 | PAR Geoffrey Nabavian

Afin de mener à bien leur premier ou deuxième long-métrage, cinq artistes reçoivent comme chaque année un Prix à la Création remis par la Fondation Gan pour le Cinéma. Parmi eux, Sylvère Petit, qui prépare actuellement La Baleine.

Sylvère Petit, ce Prix de la Fondation Gan pour le Cinéma est-il une aide qui va vous permettre de tourner votre film parfaitement à votre idée ?

Ce Prix est en effet un moment important pour le film. Nous sommes en fin de production et nous devons encore convaincre les derniers partenaires. Avec parmi eux plusieurs télévisions notamment. Et bien que nous ayons déjà autour de nous beaucoup de partenaires passionnés par le film, pour les derniers, il reste des questionnements quant aux risques posés par ce projet. Il en va toujours ainsi pour des films osés et aventureux, or La Baleine est de ceux-ci. Il s’agit tout de même de l’histoire d’un vigneron qui s’emploie à découper, morceau par morceau, le corps d’une baleine morte échouée sur une plage pour sauver son squelette. Et qui, ce faisant, réveille la violence dans son village. Ce Prix vient nous aider à rassurer ces derniers partenaires, quant à la possibilité de ce projet. La Fondation Gan pour le Cinéma a en effet une filiation avec pas mal de projets très ambitieux. Je repense à l’exemple de Claude Nuridsany et Marie Pérennou, lauréats en 1992 pour le documentaire sur les insectes Microcosmos, le Peuple de l’herbe. Le projet comportait des risques. Or le film, sorti en 1996, a été un grand succès. Un tel Prix donne donc selon moi du courage aux investisseurs. On sent des frilosités, car le cinéma est un domaine compliqué en ce moment. Cette aide de la Fondation Gan vient apporter au projet de l’élan, et nous aider à dire à ces derniers partenaires à convaincre de ne pas avoir peur.

À quels aspects concrets de votre film va contribuer cette aide reçue de la Fondation Gan ?

Le Prix va rentrer dans le financement général du projet. Surtout, avec cet apport en plus, nous allons pouvoir commencer à vraiment organiser concrètement le tournage dans ses différentes étapes. Nous projetons de tourner dans un an, à ce jour. Or il y aura quatre étapes. Avec déjà, une semaine qu’il faut planifier très précisément. Nous l’utiliserons pour filmer complètement la découpe de la baleine. C’est une chose que nous allons devoir faire pour de vrai. Pour ce faire, nous devons donc attendre qu’une baleine s’échoue vraiment, sur une plage de France, ensuite nous transporterons son corps mort sur une plage d’Occitanie choisie précisément. En effet, une lourde charge administrative se pose, pour tourner sur une plage. Il y aura aussi à tourner, d’autre part, les scènes avec les acteurs – avec dans les rôles principaux Sergi Lopez et Izïa Higelin – puis des plans en pleine mer et des séquences sous microscope en aquarium.

Sentez-vous que, via ce Prix, la Fondation Gan aide votre créativité à être montrée ?

Oui, et j’apprécie aussi les possibilités qu’elle m’offre pour la montrer. Il va y avoir des interviews, des portraits filmés, des accompagnements visuels… On a même l’impression d’un vrai soutien main dans la main. C’est très réconfortant, et pas si habituel. D’habitude les accompagnements sont moins en proximité. De même, dans la manière de communiquer, j’ai une impression de générosité semblable. C’est très réfléchi, rigoureux.

Ce film aurait-il été dur à faire sans l’aide de la Fondation Gan, par rapport aux autres aides que vous avez déjà pu recevoir ?

Très clairement, on a besoin de tout le monde, du plus de monde possible. Mais cette aide de la Fondation Gan pour le Cinéma vient à un moment vital, pour le film. Il s’agit en effet d’un long-métrage pour lequel nous travaillons avec la nature, raccordés au rythme des saisons. Donc par exemple, lorsqu’une commission saute, on doit décaler notre organisation d’un an. On l’a déjà fait d’ailleurs. Donc le fait que ce Prix de la Fondation Gan nous vienne maintenant est véritablement vital, pour le film.

Il s’agit d’un premier long-métrage. En tant que tel, aurait-il pu être mené à terme sans le Prix reçu de la Fondation Gan ?

Ah là… On aurait peut-être décidé de tourner d’autres idées de films qu’on avait ! [rires] Je pense que la particularité de la Fondation Gan pour le Cinéma est une forme d’exigence et d’audace qu’elle a. Elle choisit de défendre des projets risqués et elle les défend bien.

Selon vous, une aide comme celle de la Fondation Gan aide-t-elle le cinéma en salles à continuer à vivre, en offrant une telle assistance à la création nouvelle ?

La Fondation Gan a été créée dans un moment de crise pour le cinéma, si je me souviens bien. A la fin des années 80, Costa-Gavras s’était lancé en quête de partenaires dans le privé, pour l’industrie du septième art. Donc ce que nous traversons actuellement n’est pas le premier instant de crise, et ne sera pas le dernier… Historiquement, la Fondation Gan cherche donc des solutions et accompagne le cinéma dans ses moments de crise. D’autre part il me semble aussi que les choix qu’elle fait relèvent d’une volonté d’aider des regards singuliers à raconter le monde. Des regards qui se portent sur des questions très contemporaines bouleversant la société, tout en restant très subjectifs. Comme un vrai contrepoint à l’uniformisation du langage qu’on a aujourd’hui, et qui est un énorme danger. Une uniformisation à la fois dans la forme, et dans le fond, quant à la manière de raconter le monde, justement. Ainsi la Fondation peut parfaitement choisir de soutenir des projets qui parlent de notre monde de la manière la plus improbable possible. A l’inverse des plateformes, qui dans bien des cas ne cherchent pas à offrir une diversification des regards. Parfois ainsi, certains décideurs pensent que le public attend certaines histoires précises. Alors que l’on se rend compte ensuite que c’est l’inverse. Il est étrange que l’on réfléchisse comme ça en ce moment. Comme si on se disait que le public a tout le temps besoin d’être rassuré. Or il faut réinventer le monde au sein d’arts comme le cinéma. Il n’y a que comme ça que nous pourrons inventer de nouveaux modèles de société.

Avez-vous des exemples de collègues réalisateurs que l’assistance reçue de la Fondation Gan pour le cinéma a bien aidés ?

Oui, je pense à Aurel, et à son long-métrage d’animation Josep, difficile à monter. Il a été produit comme mon film par Serge Lalou, avec un soutien de la Fondation Gan pour le Cinéma. Il a ainsi reçu au Festival d’Annecy le Prix Fondation Gan à la Diffusion. Aurel en était ravi. Très compliqué à mener à terme, son film a été fait sur un temps très long. Heureusement, ce temps lui a été alloué par sa production. Je les salue au passage, ils me produisent également. Il est précieux de travailler avec Les Films d’Ici Méditerranée car ils nous autorisent un temps de travail très long. Le but étant d’ancrer les films sur la durée, et de déployer leurs thématiques et sujets, en proposant par exemple des projets documentaires autour des oeuvres produites ou en organisant pas mal d’événements avec les publics. Autant de moyens pour sortir un peu de la politique consumériste. Le cinéma restant fait aussi pour animer des débats de société.

Propos recueillis par Geoffrey Nabavian.

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Visuel : © Sylvère Petit

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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