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Le Lavoir moderne parisien accueille “Arletty” de Koffi Kwahulé

Le Lavoir moderne parisien accueille “Arletty” de Koffi Kwahulé

04 November 2021 | PAR Julia Wahl

Le Lavoir moderne parisien organise jusqu’au 14 novembre un cycle Koffi Kwahulé. Au menu, des lectures, un séminaire “Fratries et sororités afrodiasporiques” organisé par Sylvie Chalaye, des projections, une expo photo “Ceux qui aiment le jazz” et l’accueil de mises en scène des derniers textes de l’auteur : Boxeur (mise en scène de Marie Lecoq) et Arletty, comme un œuf dansant au milieu des galets (mise en scène de Kristian Frédrik). 

Cette dernière pièce se concentre sur le sort réservé à Arletty au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Convaincue d’intelligence avec l’ennemi en raison de son histoire d’amour avec l’officier nazi Soehring, elle fut assignée à résidence durant plusieurs mois. Pour retracer cette histoire, Koffi Kwahulé nous propose de suivre une actrice dont la tâche est précisément d’incarner le rôle d’Arletty et se perd progressivement dans son personnage. Le procédé fonctionne, plusieurs temporalités se superposant dans l’imaginaire du spectateur, celle de l’actrice et celle de son personnage. A celles-ci s’ajoute le monde des Enfants du paradis, qu’Arletty était précisément en train de jouer au moment de son procès, et dont des extraits audio sont retransmis régulièrement.

L’un des intérêts du texte de Koffi Kawahulé est de faire coexister, à côté de ces temporalités multiples, deux réalités : celle, finalement peu présente, effectivement vécue par Arletty et celle fantasmée par ses juges et la foule, incarnée par la “rumeur” (qui mériterait ici un “R” majuscule tant elle fait personnage).

Alors qu’elle fut simplement assignée à résidence, la rumeur prêta en effet à Arletty d’avoir été tondue, recouverte d’une croix gammée entre les deux seins, violée et d’avoir proclamé les mots que l’on sait à propos du caractère international de son cul. Si tout cela semble relever surtout du fantasme, cette attention portée à la rumeur met en évidence la peine spécifique des femmes, toujours sexualisées. Koffi Kawhulé imagine notamment un long échange avec un “Inquisiteur” qui s’attarde avec un plaisir évident sur la vie sexuelle de la vedette.

Cette profession de foi féministe est toutefois associée à des considérations qui posent question : outre ses amours germaniques, il fut reproché à Arletty ses amitiés avec des collaborationnistes notoires comme Céline ou Laval. Et c’est le traitement de cette dernière relation qui paraît pour le moins étrange. A l’Inquisiteur qui lui rappelle les propos de Laval sur l’Allemagne comme rempart au bolchevisme, Arletty se contente d’un haussement d’épaule accompagné d’un “c’est une connerie !”, comme s’il s’était agi d’un simple dérapage verbal. C’est oublier un peu vite que Laval a joint le geste à la parole en soutenant activement – et parfois en l’anticipant – , par des actes, la politique du Reich. Sous prétexte de recul, ce passage – il est vrai rapide – lave un peu vite l’honneur du chef du gouvernement de Vichy.

Cette mise en scène sera accompagnée le 7 novembre à 10h30 d’une projection des Enfants du paradis au Louxor.

Arletty, comme un œuf dansant au milieu des galets, jusqu’au 14 novembre au Lavoir moderne parisien, du mercredi au samedi à 21h ; le dimanche à 17h.

Visuel : ©Yann Slama

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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