“Pourquoi les vieux…” : tout vieux tout flamme
Du 5 au 9 janvier le Lavoir Moderne Parisien programme Pourquoi les vieux, qui n’ont rien à faire, traversent-ils au feu rouge ? du Collectif 2222. Quand six comédiens de théâtre corporel travaillent sur le thème de la vieillesse, avec une écriture au plateau qui se nourrit de résidences en EHPAD, le résultat est plutôt intéressant. Plus que du mime ou du jeu masqué, un théâtre corporel peu bavard mais pas sans paroles pour un tableau croqué au plus juste de la réalité de son sujet.
On serait tenté d’appeler cela un théâtre de l’empathie. Non qu’on puisse vraiment s’identifier aux personnages, cette dizaine de petits vieux qui tournent en rond dans leur maison de retraite, qui sont tellement voûtés qu’ils semblent ne plus appartenir au même monde. Mais on sympathise à coup sûr avec eux, attachants qu’ils sont : facétieux, ivres de liberté, terriblement vivants sous la menace de la mort qui rôde, prêts à toutes les amours et à toutes les jalousies. On les regarde là, et ils sont nos grands-parents, à la fois étrangement familiers et étrangement lointains. Pas bavards, mais campés avec une grande justesse dans les attitudes corporelles – on sent le soin mis à observer les différentes manifestations du corps vieillissant, la minutie dans la reproduction des gestes les plus infimes, toute l’expérience de comédiennes et de comédiens formés à l’Ecole Jacques Lecoq et qui brillent dans leur interprétation. Les personnages des vieillards sont joués avec des demi-masques – de superbement réalisés, fruits du travail du facteur Lucien Cassou – qui couvrent le haut du visage, tandis que le personnel de la maison porte le désormais familier masque chirurgical – étrange symétrie inversée, qui nous révèle au passage ce que nous sommes en train de figer dans notre expression corporelle.
La tonalité de ce spectacle attachant oscille en permanence entre le drame et la comédie, n’esquisse un pas vers la farce que pour revenir aussitôt à la réalité la plus organique de corps qui peuvent lâcher à tout moment. La Camarde rôde partout. On nous rappelle régulièrement qu’elle peut faucher à tout moment. Le spectacle s’ouvre d’ailleurs sur le décès d’un pensionnaire, déchirant en ce qu’il laisse sa compagne dans une souffrance dont elle n’arrive pas à se tirer. Elle multiplie donc les tentatives de mettre fin à ses jours, ce qui ne manque pas de créer des remous dans cet univers clos où chaque pensionnaire s’évertue à inventer à chaque minute des façons d’échapper à l’inéluctable fin.
Le spectacle vaut par son approche sociologique précise, une observation très fine qui lui permet d’aborder de façon assez complète tous les petits drames qui traversent la fin de vie dans notre société où les aînés sont escamotés dans les EHPAD : nostalgie, sénilité, perte des fonctions du corps, médications lourdes, ataraxie, sentiment de solitude et d’abandon, difficulté pour les couples à se supporter après 60 ans de mariage, mais aussi soif de vivre et d’aimer, humour et second degré, solidarité, libidos libérées, propension à faire fête de tout. La dimension documentaire réaliste ne pousse pas dans les derniers retranchements, et on ne voit pas notamment de soignants maltraitants, mais le tableau brossé est juste, on sent que l’écriture est imprégnée de la réalité de celles et ceux qui sont représentés.
Là où l’exercice trouve sa limite, c’est justement dans ce réalisme sociologique et psychologique. A trop vouloir croquer le réel, on finirait par oublier de le sublimer. Mis à part trois brèves scènes oniriques ou fantaisistes, la galerie de personnages, pour juste qu’elle soit, reste trop prisonnière du souci de bien représenter, et oublie de transcender son sujet. On ne fait que frôler la surface de ce qu’est vraiment la violence tapie dans les EHPAD, de même qu’on ne ressent pas dans ses tripes ce qu’est la certitude constante de la mort proche, ou l’agonie de l’abandon. C’est une dramaturgie du quotidien, et elle a son charme. On sourit beaucoup, on rit souvent, on s’émeut quand la mort frappe, mais la grande secousse n’arrive pas, non plus que la catharsis. Reste un très sympathique spectacle, très finement réglé, très bien mis en espace – mise en scène joliment maîtrisée de Thylda Barès – qui a le grand mérite de ne pas camper ces personnes âgées comme des victimes impotentes, mais comme des êtres toujours mûs par la flamme, profondément semblables à tous les autres humains. Et c’est déjà une très excellente chose.
GENERIQUE
Une création du Collectif 2222
Mise en scène Thylda Barès
Avec en alternance Victor Barreère, Andrea Boeryd, Yejin Choi, Paul Colom, Julia Free, Elizabeth Margereson, Ulima Ortiz, Tibor Radvanyi
Création lumière et régie Clémentine Pradier