Théâtre
Pas de capote sur les planches des théâtres

Pas de capote sur les planches des théâtres

30 November 2012 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le Sida n’est pas mort, on ne le répétera jamais assez,  mondialement, les jeunes de 15 à 24 ans représentent 40 % des nouvelles infections. Cette année, au sein de la rédaction nous nous sommes interrogés sur le préservatif, seul outil de prévention, comme objet culturel. Cet objet qui devrait être quotidien dans nos vies depuis la découverte de la maladie en 1981 est un grand absent des scènes de spectacles. Portrait d’un manque.

Les spectacles sur le SIDA ne parlent que de la maladie, jamais  du préservatif.

On en revient aux mêmes spectacles traitant du SIDA et par ricochet du préservatif. Le Cabaret des hommes perdus mis en scène par Jean Luc Revol en 2007 puis 2009 raconte “le destin d’une jeune star du cinéma X gay, un jeune provincial nommé Dick Teyer, qui le mène dans une boîte drag queen des bas-fonds de New York pour échapper à une bande de casseurs. Par son physique avantageux, il devient une célébrité du milieu pornographique.”

Ici c’est de la maladie dont il est question mais pas la prévention. David Macquart, comédien et chanteur y  interprète le barman. Joint par téléphone, il confirme nos doutes : “on parle du SIDA, c’est le sujet de la pièce, mais jamais de l’amour protégé. On ne voit pas et on ne parle pas de préservatifs”. Il ajoute que “le prisme de la culture n’est pas tourné vers le préservatif”.

L’autre monument,  Angels in America : A Gay Fantasia on National Themes,   écrite en 1991 par l’écrivain américain Tony Kushner demeure l’œuvre phare traitant du sida lié aux thèmes de l’homosexualité, de la marginalité, de la religion, de la culpabilité et de la transcendance. On y suit les destinées de plusieurs personnages au milieu des années 80, dont celle de Prior Walter qui se découvre atteint du sida et doit l’annoncer à son compagnon, Louis Ironson, juif démocrate qui est sur le point de le quitter. Une pièce crue, sans concession qui montre l’affaiblissement physique et moral, la dégradation corporelle de Piotr mais qui sublime son état, magnifie sa lutte : le personnage est visité par un ange qui le proclame prophète. Là encore, la pièce centre son argument autour de la maladie et de la mort. La pièce écrite au coeur du pic de la pandémie est sans issue positive.

Pas de capotes mais du latex

Pour trouver du latex il faut chercher dans le symbolique et sur les tapis de danse. Deux noms reviennent, ceux de François Chaignaud et de Boris Charmatz.

Le premier est un spectacle donné lors de l’édition 2011 du Festival d’Automne. Dans Sylphides, on voit de grands sacs noirs en latex, des corps dont les fonctions vitales semblent réduites au minimum, la vie qui explose finalement haute en couleur et énergies, tels sont les ingrédients qui conduisent François Chaignaud et Cecilia Bengolea à l’alchimie des Sylphides.

Mais latex ne rime pas avec capote. Esprits élémentaires de l’air, les sylphides, symbole de beauté, de subtilité et d’aspiration spirituelle, décrites pour la première fois au XVe siècle par Paracelse, ont peuplé l’imaginaire chorégraphique du XIXème. Férus d’histoire et de littérature, passionnés postmodernistes toujours prêts à réveiller ou récupérer des formes désuètes, mineures ou en marges du monde de la danse établie – voguing queer des quartiers marginaux de Harlem dans le New York des années 60 dans (M)IMOSADanses libres des années 20 ou encore chorégraphies jouissives pour les parties annales dans Pâquerette – François Chaignaud et Cecilia Bengolea avouent que pour Sylphides, la référence mythologique s’est imposée plus tard. A la base de cette création 2009, au festival les Antipodes à Brest, il y a une intuition visuelle et kinesthésique. Le duo sulfureux de chorégraphes s’impose une contrainte extrême. Le spectre de l’asphyxie n’est jamais loin pour ces corps prisonniers de leurs enveloppes en latex, bientôt quasiment « sous-vide », qui entravent tout mouvement. Il faut pousser loin la symbolique pour y faire entrer le SIDA.

La même problématique se pose  avec La danseuse malade de Boris Charmatz et Jeanne Balibar créé en  2008.  Le spectacle entre dans l’art du butôt en mêlant les textes de son fondateur Hijikata et une chorégraphie enserrée dans un camion. Ici, le vomi se mêle au feu, les chiens attaquent. Le latex devient visqueux, empêchant, gluant au sol. Son image est celle du dégoût, d’une mort.

Lady Gaga, le costume sauve l’absence

En  guise de conclusion, on parlera de Lady Gaga, la reine queer milite. C’est chez elle qu’on trouve une réinterprétation scénique du préservatif.  En 2011, elle est vêtue d’une robe en latex lors de l’émission  Good Morning America. La chanteuse ne cache pas son engagement, elle est l’égérie de la campagne Viva Glam, les formidables rouges à lèvres  MAC, dont toutes les ventes reviennent à la lutte contre le SIDA.

Triste constat d’un vide, d’une absence qui tend à mettre en relief que le préservatif est devenu un tabou, un invisible, un indésirable. “Ce n’est pas la thématique” nous rappelait David Macquart au sujet du Cabaret des hommes perdus. Ce n’est visiblement, jamais la thématique.

Visuel (c) Alain Monot

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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