
L’insolite, la découverte, les jeunes talents: les Scènes Ouvertes à l’Insolite du Mouffetard
Ce mardi s’achevait le festival Scènes Ouvertes à l’Insolite du Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette à Paris. Comme tous les deux ans, une occasion de découvrir des spectacles de compagnies émergentes, avec une programmation de choix. Retour sur trois spectacles vus cette semaine, qui confirment la vitalité de la jeu créance, et la tendance forte à l’hybridation de tous les arts de la scène.
La qualité des choix de programmation faits au Mouffetard n’est plus à démontrer – pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil à la plaquette de saison, où les spectacles de tout premier ordre abondent. Cela n’exclut pas la prise de risque, et les Scènes Ouvertes à l’Insolite constituent un événement où la découverte est privilégiée. On pouvait notamment y voir le récent – et excellent – spectacle L’Imposture de Lucie Hanoy, ou le subtil et fascinant L’Ambigü[e] d’Elzbieta Jeznach.
Le premier spectacle que nous avons vu, Éclipse, de Léo Rousselet, confirme qu’aux artistes bien inspirés la valeur n’attend certes pas le nombre des années. Formé au Lido à Toulouse, il propose ici un spectacle de jonglerie très travaillé à l’écriture et à la mise en scène, qui louvoie parfois jusqu’aux terres de la prestidigitation et du théâtre d’objets. Seul en scène, il jongle avec une ou plusieurs balles blanches, avec une grande fluidité. Mais là n’est pas l’essentiel de la proposition, qui ne tient pas à tant à une virtuosité spectaculaire qu’à la perception de la balle, puisque le dispositif de scène place Léo Rousselet sous une lumière unique qui s’éteint (ou qu’il éteint) pour créer des alternances noir/lumière. Ce choix permet de travailler sur le rythme, selon que la jongle et l’éclairage sont synchrones ou décalés, ainsi que sur la possibilité pour l’œil du spectateur de suivre la balle, ou pas. Suspension, disparition, autonomisation de la balle s’ensuivent, dans une proposition qui pour être courte n’en est pas moins impeccablement écrite. Le personnage maniaque, maladroit, rêveur, pris dans les accidents d’un univers dont les règles semblent devenir de plus en plus folles, est clairement délectable. Un artiste sans nul doute promis à un bel avenir !
Mon bras de Studio Monstre est un spectacle absolument fascinant, sur un texte halluciné de Tim Crouch, dans un dispositif faisant largement appel à la vidéo et à la manipulation sur table. Le propos part d’une idée simple, celle d’un personnage assez désœuvré qui, un jour, décide comme par défi de lever son bras pour ne plus jamais le baisser. L’adresse très frontale sur un mode autobiographique, lumières salle allumées, comédien en scène à l’entrée des spectateurs, participe à construire un rapport troublant à la salle, où la distanciation devient presque impossible. Qui donc nous parle ? Est-ce une « histoire vraie » ? Est-ce un spectacle ou un témoignage ? Il faut saluer la performance de Théophile Sclavis qui, seul en scène, réussit une incarnation troublante de réalisme, jusqu’à susciter un malaise planant. Tour de force d’autant plus admirable qu’il accomplit en même temps des gestes très techniques, pour lancer ou arrêter des vidéos, se filmer en direct pour des adresses caméra ou la manipulation en direct d’objets sur table – ou plus simplement la figuration de certaines scènes avec des gestes de ses mains, là encore filmées de dessus sur la table. Cela permet d’introduire un trouble supplémentaire dans le rapport entre le vrai et le faux, certaines séquences étant réellement filmées en direct, d’autres étant au contraire préenregistrées. Une utilisation intelligente des écrans, une proposition sobre mais parfaitement efficace : une très belle découverte !
Mytho Perso enfin, du collectif Les Becs Verseurs, est une forme courte à mi-chemin entre la conférence-récit et le théâtre d’objets, où la vaisselle jetable en plastique – particulièrement les gobelets – vont figurer tour à tour les membres du panthéon olympien ou les membres de la famille de la narratrice. Il s’agit de revisiter quelques mythes choisis dans l’héritage grec, et de tenter un rapprochement avec les situations très contemporaines traversées par une famille du début du 21e siècle. La tonalité est plutôt celle de l’humour et d’une relative légèreté, et ceci alors même que les histoires – celles d’Echo et Narcisse, de Pandore ou de Midas, pour en citer quelques unes – se finissent généralement assez mal. La proposition est très simple, et elle a l’intelligence de ne pas tenter d’étirer son dispositif au-delà de son point d’épuisement – les ressorts comiques et visuels conviennent bien à un format court, mais auraient lassé (sauf à être renouvelés) sur un spectacle d’une heure. L’interprétation de Myriam Gautier est plutôt juste, pour un personnage narrateur un peu trop fasciné par les non-dits, les fins tragiques et les familles déglinguées. C’est globalement drôle et récréatif, avec un petit fond qui gratouille : plutôt réussi !
ECLIPSE
Jeu et jonglage : Léo Rousselet
MON BRAS
Texte : Mon bras de TIM CROUCH (représenté dans les pays de langue française par MCR Agence littéraire)
Jeu : Théophile Sclavis
Mise en scène : Mathilde Souchaud
Traduction de l’anglais : Théophile Sclavis et Éléonore Sclavis
Conception : Studio monstre
Conception scénographie et accessoires : Gala Ognibene
Conception lumière et vidéo : Arthur Gueydan
Dessins : Jade Nectoux
MYTHO PERSO
Texte, jeu et manipulation : Myriam Gautier