
Lignes de faille, Catherine Marnas déroule le fil des générations
Tous à table ! Ils ont 6 ans, en 2004, 1982, 1962 et 1944, ils sont Sol, Randall, Sadie et Erra, chacun l’enfant de l’autre. Ils ont tous en commun un grain de beauté, ami ou ennemi. Du roman palpitant de Nancy Houston, Lignes de faille, Catherine Marnas crée une mise en scène parfaite, évidement en quatre parties. La filiation vue par des yeux d’enfant en prise avec un double rapport au temps, celui de leur quotidien et celui de la grande histoire. Juste génial.
La pièce respecte exactement le rythme et le ton du roman fort en théâtralité. Nous partons d’un sale gosse qui s’appelle Sol, anorexique, collé à internet et passionné d’images violentes. Il est protestant, mais sa grand-mère est juive orthodoxe. Le petit garçon a sur ses épaules 60 ans d’histoire, la Shoah comme début. Il ne sait rien à part qu’il a un gros grain de beauté sur le visage, que son père l’a sur l’épaule, son arrière-grand-mère sur le bras. Sa grand-mère le cache sur la fesse et ça il ne sait pas. Chaque partie fonctionne en transition avec la précédente. A la fin de l’épisode Sol, c’est au tour de son père Randall d’avoir à son tour 6 ans. Comme un voyage dans le temps, nous reculons vers le passé pour comprendre comme dans une psychanalyse limpide quel est le nœud de cette histoire familiale. Pourquoi Sol est insupportable, pourquoi Randall est raciste, pourquoi Sadie est devenu une universitaire spécialiste du mal, pourquoi Erra chante la tête dans la lune ?
Au fur et à mesure, les secrets s’effritent et nous accédons, de plus en plus saisis, aux clés de l’énigme.
Mettre en scène un roman est casse-gueule. L’exercice est ici réalisé au-delà des espérances. Il y a d’abord cette idée de quatre pièce en une. Catherine Marras choisit de faire des changements de décors ouverts et en musique. Chaque morceau est emblématique de son époque. Pour l’Amérique post 11 septembre de Sol, en Californie, c’est Madona qui chante American dream ou encore pour Randall, en 1982 en pleine guerre du Liban en Israël, c’est le rock légèrement saturé de Joan Jett & the Blackhearts pour I Love Rock N Roll… Les costumes suivent. Erra petite fille dans l’Allemagne en défaite est en robe bavaroise, Sadie en 1962 est en uniforme quand sa terrifiante professeure de piano est en robe crayon au-dessous du genou. Le décor est composé de bâtiments ou d’objets miniatures (des buildings pour New York, des sapins pour l’Allemagne…) faciles à déplacer ce qui apporte une fluidité parfaite au propos. Le seul point commun est la présence d’une table, symbole de la réunion de famille par excellence. Une utilisation intelligente de la vidéo projette au sol des appuis au récit des enfants, faisant du plateau une page blanche à écrire.
Les enfants, joués ici par des adultes sont ahurissants de talent. La performance est là, ils sont huit à tenir 4h30 de spectacle ; étant pour quatre d’entre eux les mêmes personnages à différents âges de la vie. On accède à chaque génération par le prisme du protagoniste portant un regard d’enfant sur son monde d’adulte. Que gardera-t-il de cet enseignement une fois grand ? Julien Duval campe un Sol insupportable en sweat jaune, Franck Manzoni est un Randall attachant tout en bleu, Catherine Pietri est éblouissante de tragédie sous les traits d’une Sadie tiraillée entre des grand parents stricts et une mère trop laxiste, Martine Thinières et une Erra sensible, long cheveux blonds aryens dans l’Allemagne nazie. De la Californie à l’Allemagne en passant par New York, le Canada et Israël, l’épopée de cette famille où le fil de la transmission est si lourd devient ici un spectacle foisonnant et passionnant.
Visuel : (c) Pierre Grosbois
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2 thoughts on “Lignes de faille, Catherine Marnas déroule le fil des générations”
Commentaire(s)
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Olivier Quéro
Je ne sais pas si tu l’as vu…
Bises
alain
Duplenne
La dernière était ce soir au, Théatre du Rond Point.
Magnifique spectacle en effet, époustouflante Catherine Pietri, troublant récit de la transmission.