
Le prix des boites, Jorge Lavelli emmène deux petites dames vers la mort
En 2006, le journaliste Frédéric Pommier perd deux amies, deux vieilles filles aux chats, deux sœurs qui s’aiment et se piquent comme… chiens et chats. D’une histoire vraie est né pour le meilleur, le drôle et le triste, un bien beau théâtre
Le prix des Boîtes, en v’la un titre étrange ! A cela s’ajoute un casting de rêve : à la mise en scène, le fondateur du théâtre de la Colline Jorge Lavelli, dans le rôle de La Grande, l’immense tragédienne Francine Bergé, dans celui de La Petite, Catherine Hiegel, en travlo-voleur Raoul Fernandez, adoré dans Incendies mis en scène par Stanislas Nordey, une tutrice dépressive, Sophie Neveu et une auxiliaire de vie Liliane Rovère.
Une fois qu’un rideau rouge l’aura dévoilée, la première boite sera celle du décor : une vaste pièce toute capitonnée est le “classieux” écrin des salons confortables. Nos deux petites dames, on les connait déjà, elles se sont disputées en avant-scène à l’occasion d’une mousse «J’ai toujours détesté ta mousse” dit l’une à l’autre dans une interchangeabilité semblant infinie. Elles se chamaillent depuis le premier jour. Elles n’ont ni âge, ni prénom, elles sont vieilles et seules. Elles ont vécu, sans se marier ni faire d’enfant, au fil des jours, prises par le temps de leur époque, où tout augmente, même les boites de ronron et où tout valdingue, y compris les biscuits qui ne tiennent plus sur les assiettes.
Les voilà décalées, sur le bas-côté, la petite a un cancer, la grande un Alzheimer. Elles sont évacuées, exclues, mises sous tutelles, malmenées par un hôpital déshumanisé. Par le texte, Frédéric Pommier, talentueux raconteur, nous attache à elles, nous fait ressentir l’amitié qu’il avait pour ce couple de sœurs. Par la mise en scène, le glissement dans le “C’est horrible !” qu’hurle la grande est total. La pièce capitonnée, qui n’a pourtant pas changée est devenue, tour de force conjoint d’une maîtrise des lumières et d’un jeu d’acteurs tourbillonnant, une chambre où les malades sont vêtus de camisoles. Les portes claquent, les volets roulants se referment, l’ambiance devient celle d’un saloon où doucement la meute est arrivée pleine de malveillance et de convoitise.
A la fois témoignage sensible et hommage à deux bouts de dames au fort caractère, Le Prix des Boites est surtout un grand et beau théâtre où tout fait sens du décor au jeu en passant par la lumière et les costumes. Les deux vieilles ne porteront pas de couleur, seulement du beige, sauf au moment où l’une, dépossédée de sa raison se voit imposer un gilet violet. Ce n’est plus elle. Le beige, c’est doux, c’est la fin tranquille. Ici, tout se trouble dans une attaque sociétale juste, celle de la non protection des personnes âgées, parquées dans des maisons de vieux où “on ne fait qu’attendre”.
La plus belle phrase du spectacle est celle qui couvre actuellement les affiches du métro “tous les souvenirs sont finis” peut-on lire. Cela est faux, ce n’est pas fini, en donnant vie et corps à ses amies Frédéric Pommier n’a pas glissé dans un mémorial glauque, il a construit une pièce en quatre scènes, équilibrées et ce faisant, a signé son entrée dans la jolie cour des (bons) auteurs de théâtre avec un conte contemporain où le rire se fait sombre.
Crédit obligatoire : Mirco Magliocca.
Mardi 2 avril, À l’issue de la représentation, Frédéric Pommier, Jorge Lavelli et l’équipe artistique vous retrouvent au foyer-bar pour échanger à chaud sur le spectacle.
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