Au FIAMS, profusion de formes courtes stimulantes: il n’y a pas de petite marionnette!
L’un des bons côtés des festivals, c’est qu’ils présentent souvent des parcours de formes que l’on peut découvrir librement, au gré de ses envies. Entresorts, formes courtes ou d’extérieur, ces spectacles ont en commun de pouvoir se représenter en dehors du cadre conventionnel – et convenu – d’un théâtre classique. Sans pouvoir prétendre à l’exhaustivité, on peut donner un aperçu de ce qu’on a croisé d’enthousiasmant au FIAMS, sur les bords de la Rivière aux Sables.
Dans le cadre du FIAMS, les spectacles qui ne sont pas représentés de façon traditionnelles, dans des salles de théâtre ou aménagées comme telles, sont regroupées en deux programmations : les Insolites, et les Extérieurs. Nous rendons compte ici de plusieurs de ces spectacles, en prenant la liberté d’ignorer cette distinction.
Les visiteurs : la marionnette est ailleurs…!
Petit délire très construit d’Hubert Jéguat (cie CréatureS), Les visiteurs est un plaisir pour tous les spectateurs capables de goûter le second degré, et qui n’attendent pas du théâtre qu’il se prenne perpétuellement au sérieux. Les geeks et amateurs de pop culture seront particulièrement aux anges, mais tout le monde pourra apprécier l’humour pince-sans-rire, le côté cabotin et facétieux de la proposition… qui cache un travail énorme en amont, en termes de repérage et de documentation.
Il s’agit en effet, à chaque escale, de réécrire un enregistrement sonore de 45 minutes qui va révéler aux spectateurs, déambulant un casque audio sur les oreilles, les traces visibles et incontestables du passage des extra-terrestres dans la ville. La force de la proposition, outre son humour, est son profond enracinement dans la réalité locale, historique et géographique. Comme tous les bons spectacles d’art de rue, Les visiteurs informe autant qu’il distrait, et métamorphose le territoire en lui superposant une couche de poésie.
Léger, intelligent, et diablement drôle, un jeu malicieux sur la crédulité et les codes de la pop culture.
L’eau à la bouche : la marionnette, version charnelle
De la marionnette, on déplore parfois le fait qu’elle manque de sensualité. Pas de saveur, pas d’odeur, l’objet – même animé – reste un corps souvent inorganique, qui n’est sensible que dans un nombre limité de dimensions.
L’eau à la bouche pourrait bien surprendre le tenant d’une telle thèse : il s’agit de marionnette à un sens élargi, un casque étrange qui emprisonne la tête de l’unique spectateur, mais une marionnette sensuelle, presque érotique, surprenante en tous cas. A quelques centimètres du visage du ou de la volontaire, des morceaux d’anatomie humaine s’animent. Dans le casque audio – là aussi – posé sur ses oreilles, le spectateur entend une voix féminine – peut-être y a-t-il plusieurs enregistrements, pour convenir à tous les goûts ? – à la suavité suggestive. Elle susurre l’amour de la chair, sans doute pas tant celle que l’on caresse que celle que l’on passe au four avant d’y plonger les dents – quoique.
C’est étrange, c’est curieusement troublant, c’est complètement dépaysant. Cela souffre un tout petit peu du fait que l’extrême proximité du regard avec le dispositif souligne la moindre imperfection de la construction. Dommage aussi que toutes les – choses ? – animées sur la paroi ne puissent pas l’être en même temps, et que certaines soient vouées à l’inertie une partie du temps… C’est un spectacle jeune, qui évoluera encore sans doute.
Une expérience courte mais insolite, à ne pas se refuser !
Amitié : un pas de danse vers l’Autre
Les marionnettes géantes exercent toujours un pouvoir d’attraction et de fascination sur les spectateurs, et sont tout-à-fait adaptées à l’utilisation dans l’espace public. Amitié, de la Compagnie NAMA, utilise des marionnettes d’environ 4 mètres de haut, chacune animée par un seul manipulateur – ou une seule manipulatrice dans ce cas. De grandes mains fines et de beaux visages souriants dépassent de vêtements aux couleurs vives. Chaque marionnettiste porte et manipule sa marionnette à vue, à l’aide d’un baudrier et de grandes tiges pour animer les bras. Toute l’idée de cette proposition est d’instaurer un dialogue avec le public : par une adresse pré-enregistrée, mais surtout par la musique, par le chant et par la danse.
Les mécanismes de support transfèrent très joliment les mouvements des manipulateurs-danseurs aux marionnettes, qui bondissent et ondulent au rythme de leurs pas. Il est difficile d’imprimer une grâce à des marionnettes aussi grandes, et, pourtant, Yacouba Magassouba et Émilie Racine y arrivent de façon très satisfaisante… au point qu’on finit par oublier de les regarder, eux, et qu’on se perd dans la contemplation des évolutions des marionnettes. Ce qui est sans doute le plus beau compliment que l’on puisse faire à un marionnettiste.
Sur la finition des marionnettes, qui est tout-à-fait suffisante pour leur usage, sur la danse-animation, sur l’énergie et le sens du contact avec le public, il n’y a rien à redire. Certains pourraient déplorer un propos un peu facile, malgré une mise en mots et en chansons qui lui confère une certaine poésie : oui, l’amitié est une belle chose, oui, il est triste que la pauvreté et l’ignorance de l’autre mettent un obstacle à l’affection qui peut naître autrement entre êtres humains. Mais c’est en même temps la force de la proposition, courte, de réaffirmer des choses essentielles – et trop facilement oubliées – de manière simple et directe. Le but est de créer une communauté d’émotions, certes éphémère, autour du spectacle. Au final, c’est rafraîchissant.
La fable mécanique : facéties robotiques bien cutes
Depuis le film d’animation WALL-E, on sait que les robots peuvent être bien mignons. La compagnie Les Pas Sortables joue sur cette esthétique du petit robot aux grands yeux expressifs pour en tirer le héros de cette courte fable drôle, mais pas tout-à-fait dénuée de sagesse non plus. Le dispositif est très simple : dans un petit castelet, une porte est aménagée à fond de scène, tandis qu’un gros bouton rouge se trouve à l’avant à cour. On dirait un casse-tête de jeux vidéos : si on appuie sur la bouton, la porte s’ouvre, mais dès qu’on relâche le premier la seconde se referme. Dès lors, comment franchir le pas ?
Il s’agit donc d’une proposition très ludique, qui joue sur des codes très pop culture, pour présenter les mésaventures d’un petit robot qui échoue, encore et encore, à franchir la porte, tandis que des dizaines de ses congénères y arrivent, grâce à lui – ou malgré lui. Il y a du clown dans cette fable muette, une bonne louche de comique de situation, et beaucoup de tendresse.
L’économie de la compagnie ne lui permet pas d’avoir un décor 100 % parfait, mais les marionnettes en tous cas sont très réussies, ainsi que la mise en scène – mise en espace, réglage des entrées-sorties. Les péripéties sont globalement bien imaginées, les répétitions s’arrêtent juste au bon moment avant d’épuiser leur effet comique. Même si la sagesse finale du renoncement très zen du héros, récompensé de son lâcher-prise, n’est pas complètement bouleversante d’originalité, le spectacle est tellement agréable, drôle et sans prétentions, qu’on lui pardonne très facilement.
Le Petit Pousseraie : le théâtre d’objets alcoolisé(s) vraiment pas pour les enfants
Voilà un spectacle dont on pourrait soupçonner qu’il a été conçu après un pari fait vers 5 heures du matin, après une nuit entre copains beaucoup, beaucoup trop alcoolisée. En s’inspirant très – très – librement du Petit Poucet, utiliser des objets de la sorte qu’on trouverait au comptoir d’un bar, pour raconter une histoire au contenu très salace, avec un humour visant résolument en-dessous de la ceinture, et un héros caricaturalement gay : le Petit Pousseraie.
Ca pourrait être horriblement vulgaire et gras – et ça l’est, en fait, dans une certaine mesure. Mais c’est fait avec tellement d’autodérision aussi, et tellement de décalage dans un double jeu de distanciation et de jouissance totale de l’hénaurmité du propos tenu, qu’on finit par être embarqué entre une blague scato et une bordée de jurons très sonores. Car les deux bougres – Jérémie Desbiens et Alexandre Larouche, pour ne pas les nommer – sont québécois, et multiplient les références culturelles et l’emploi du jargon local, avec un accent copieusement épais. On soupçonne même qu’une partie des expressions et des blagues sont difficilement compréhensibles par quelqu’un qui ne serait pas originaire du Saguenay. Mais au vu du débit de conneries à la minute, propre à faire fondre n’importe quel compteur bon marché insuffisamment calibré, il n’est pas du tout nécessaire de comprendre 100 % de ce qu’il se passe pour attraper une crampe aux zygomatiques.
Alors, oui, c’est un humour très potache et décomplexé. Mais, soyons honnêtes, ça fait du bien de temps en temps. Et, en plus, il y a une fantaisie et une imagination incroyables dans les images employées, et la manière de dévoyer le conte d’origine. Ici, on joue à jouer, mais on manipule aussi très bien, sous des dehors foutraques et mal dégrossis. Des artistes malins cachés derrière des apparences de bourrins… et un propos finalement assez subversif. Habile, même si pas toujours très fin !
DISTRIBUTION
LES VISITEURS – compagnie CréatureS
TEXTE ET CONCEPTION Hubert Jégat
CONCEPTION SONORE ET INTERPRÉTATION Romain Garin
L’EAU A LA BOUCHE – Geneviève Thibault & Sophie Deslauriers
IDÉATION, INTERPRÉTATION ET MANIPULATION Geneviève Thibault, Sophie Deslauriers
CONCEPTION Sophie Deslauriers
MIXAGE Manon Giri
AMITIE – cie NAMA
TEXTE Yacouba Magassouba, Ombotimbe Boucary
MISE EN SCÈNE Yacouba Magassouba
COMPOSITION SONORE Ahmed Fofana
MANIPULATION Yacouba Magassouba, Émilie Racine
LA FABLE MECANIQUE – compagnie Les Pas Sortables
MISE EN SCÈNE, CONCEPTION ET INTERPRÉTATION Colin St-Cyr Duhamel, Sandra Turgeon
MISE EN SCÈNE ET SCÉNARIO Colin St-Cyr Duhamel
DÉCOR ET MARIONNETTES Sandra Turgeon
LE PETIT POUSSERAIE – Compagnie Les Hommes-Objets
MISE EN SCÈNE ET INTERPRÉTATION Jérémie Desbiens, Alexandre Larouche
Visuels: (c) Patrick Argirakis