
La Petite dans la forêt profonde, la grande tragédie miniature de Dentakis et Minyana au Festival d’Avignon
Présenté en clôture du Festival d’Avignon, La Petite dans la forêt profonde, écrit par Philippe Minyana et mis en scène par Pantelis Dentakis, raconte le mythe de Philomèle et Procné sur une scène miniature. Un choc.
Il y a un plateau de la taille d’un jeu d’échec. Ni plus ni moins. Minuscule. Deux comédiens et marionnettistes, Katerina Louvari-Fasoi, Polydoros Vogiatzis, vont nous raconter le mythe horrible de Philomèle et Procné à l’aide de sculptures de la taille d’un playmobil et d’un grand écran nous montrant, dans une vision augmentée, ce qu’il se passe au “plateau”.
Petit rappel des faits. Cette histoire nous est transmise par Ovide dans ses Métamorphoses. Procné est reine, elle est la femme de Térée, roi de Thrace. Elle demande à son mari de ramener sa sœur, Philomèle, à ses côtés… Celui-ci se rend alors à Athènes pour demander au roi Pandion de permettre le séjour de Philomèle chez eux. Jusqu’ici tout va bien, et ça ne va pas durer. Mais ça on le sent déjà à l’allure très patibulaire de la marionnette de Térée qui apparaît gras, sale et puant.
Térée va sauvagement violer la petite fille et l’histoire raconter comment “un crime appelle un crime”. Procné et Philomèle vont travailler et réussir à se venger de la pire des façons.
Sur scène, les comédiens sont les personnages féminins pour elle et le roi pour lui. Ils sont face-à-face et parlent dans un micro. Leurs mains manipulent les figurines. La pièce nous plonge dans l’horreur la plus abjecte, et le fait que tout cela soit joué par des poupées ajoute du glauque au glauque. On le sait grâce à Gisèle Vienne, la marionnette ce n’est pas que rigolo !
Ils sont donc humains et immenses au-dessus de ces personnages qui mesurent 5 cm au max. Comme s’ils regardaient, maîtres du jeu, le monde s’anéantir. Ils déplacent leurs pions, et nous on se demande (ayant oublié la fin du mythe !), jusqu’où cette histoire va aller.
Eh bien, jusqu’à un règlement de compte dent pour dent, crime pour crime. Le fait de diriger l’attention du public sur cet échiquier théâtral rend cette attention intense. Le récit est insupportable, insoutenable, et notre désir de vengeance monte en même temps que le roi ment sur ses actes.
Dans son écriture, Minyana rend le texte ultra-actuel sans le moderniser. Et entendre justement cette antique tragédie en grec a une saveur très particulière. C’est comme si Ovide venait nous prévenir en ligne directe, nous alertant sur le fait que la pédophilie se niche depuis la nuit des temps dans les familles, et que oui, la justice, ici celle des dieux, mais chez nous, celles des hommes, doit se faire entendre à tout prix.
La pièce n’est absolument pas visible par les enfants. C’est du théâtre d’horreur qui génère de la peur et de l’angoisse et qui charrie beaucoup d’émotion. Pour rappel, il est question ici de pédophilie, de viol, de séquestration, de mutilation, de meurtre, de vengeance et de cannibalisme. Lourd.
C’est un travail superbe à la fois sur le texte et sur la mise en scène, qui prouve que montrer de façon littérale est souvent bien moins efficace que le symbolisme.
Jusqu’au 24 à 11 heures et 15 heures dans le gymnase du lycée Saint-Joseph. Durée 1h. À partir de 16 ans.
Visuel © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon