Théâtre
La mort intruse : “Orphelins” de Rilke repris aux Halles de Tonnay-Charente

La mort intruse : “Orphelins” de Rilke repris aux Halles de Tonnay-Charente

02 February 2020 | PAR Clément Mariage

Orphelins (Waisenkinder) est un court drame très peu connu du poète allemand Rainer Maria Rilke. Il n’avait jamais été traduit en français avant qu’Olivier Dhénin ne s’en saisisse une première fois en 2010, à l’occasion de la création au Théâtre du Chaudron d’un oratorio dramatique à partir de ce texte. Neuf ans plus tard, le spectacle a été repris au Théâtre Dunois, où treize enfants et adolescents âgés de 9 à 19 ans incarnent des orphelins faisant face à la mort de l’un d’entre eux. C’est au tour des Halles de Tonnay-Charente d’accueillir le spectacle, du 6 au 8 février 2020.

La pièce de Rilke évoque l’angoisse et la solitude profondes dans laquelle la mort plonge les vivants, en particulier les enfants. Le titre de la pièce repose d’ailleurs sur l’ambivalence qu’engendre la mise au pluriel d’un terme – orphelin – qui connote l’isolement : ces enfants forment une communauté, dans leur orphelinat, mais chaque individu est comme réductible à sa solitude originelle, marquée par l’absence. Olivier Dhénin, en fervent admirateur de Maeterlinck et du symbolisme, traduit cette ambivalence dès le début du spectacle par un alignement de appeaux en forme d’oiseau au bord de la scène, perturbé par l’absence de l’un d’entre eux, rejeté, seul, au fond de la scène. L’ensemble des déplacements des personnages est également organisé selon cette dynamique : les mouvements et les dispositions scéniques obéissent à des logiques de recomposition et de décomposition du groupe, en une multitude de solitudes.

Tout dans ce spectacle fait signe : la scène est presque totalement nue, seulement occupée par une petite serre où s’épanouissent des fleurs, espace à la fois rassurant et inquiétant. Un arbre mort est bientôt mis en terre sur le plateau et assorti de fleurs artificielles : il est le symbole d’une résistance contre le dépérissement inexorable et cyclique des choses. Le spectacle est ainsi composé en deux parties : d’abord, une forme de rituel au cours duquel les enfants dansent, chantent, déclament, tour à tour, seul ou ensemble, ensemble et seul ; puis vient la pièce de Rilke, comme si l’évidence de la mort faisait basculer le réel dans le drame, mettait fin au mouvement cyclique, selon une structure analogue à celle de L’Orfeo de Monteverdi. La dramaturgie du spectacle résonne ainsi avec cette phrase de Maeterlinck, tirée du Sablier : « Si la vie est un rêve, la mort en est le réveil ».

Il n’est pas toujours aisé de travailler au théâtre avec des enfants. Olivier Dhénin réussit admirablement à distiller à travers eux un naturel et une fraicheur qui irradient l’ensemble du spectacle. Parmi eux, Gabriel CaballeroRaphaël Picardeau et Marius Valero Molinard se distinguent par leur aisance et leur présence singulière. Les textes de Rilke ajoutés dans la première partie du spectacle peuvent paraître parfois obscurs, mais la clarté avec laquelle les enfants les profèrent leur donne le caractère de l’évidence. Les Lieder de Schubert qu’ils entonnent, extraits du Winterreise ou d’autres opus isolés, glorifient la nature tout en rappelant la place précaire que l’homme y occupe, avec une mélancolie et une grâce envoûtantes. La douceur qui se dégage de l’ensemble de la scénographie, le bleuté des costumes, le tamis des lumières d’Anne Terrasse, fait d’Orphelins une expérience magnétique.

Deux Lieder de Webern et ses Cinq pièces pour quatuor à cordes, interprétées par quatre excellents instrumentistes, apportent une once d’étrangeté à l’ensemble du spectacle, soutenu également par la présence de deux adultes, directement issus de la nomenclature des personnages de la pièce de Rilke, une comédienne (Alysée Soudet) qui tient le rôle d’une Religieuse et un comédien qui tient le rôle du Jardinier et d’une espèce de Grand méchant loup (Antoine Cordier). On reste émerveillé par leur diction précise et leur éloquence.


Crédit photographique : © Elliott Stearns

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