Théâtre
Kunstfest Weimar : “Der Tribun”, une manipulation par le langage

Kunstfest Weimar : “Der Tribun”, une manipulation par le langage

30 August 2022 | PAR Lucine Bastard-Rosset

Correctement utilisé, le langage a la capacité de manipuler les foules. Par le discours, certains hommes politiques transmettent leurs valeurs et idées même si celles-ci ne correspondent pas à celles du peuple. Le spectacle Der Tribun se base sur ce présupposé en présentant un discours politique qui donne froid dans le dos. Une pièce à découvrir durant le Kunstfest Weimar. 

Le Kunstfest Weimar

Depuis 1990, la ville de Weimar accueille le Kunstfest Weimar. Fondé à la suite de la chute du mur de Berlin, ce festival est l’un des plus grands d’Allemagne et réputé de par le monde. Des spectacles de danse, théâtre, musique se joignent à des performances pour une ouverture culturelle totale. Dans le cadre de ce festival, le metteur en scène Torsten Fischer présente l’une de ses dernières créations :  Der Tribun. Porté par un brillant acteur – Dominique Horwitz – ce seul en scène saura vous faire frémir. 

Ce lundi 29 août, la représentation a eu lieu dans l’hôtel de ville de Neustadt an der Orla, à quelques kilomètres de Weimar. Installés dans une des salles de la mairie, les spectateurs ont été immergés dans le milieu politique, conférant à la pièce plus d’authenticité. Assis tout autour de la scène, sur des chaises au velours rouge et un verre à la main, ils n’étaient plus considérés comme de simples observateurs mais prenaient pleinement part au discours, se transformant en un auditoire actif. 

Une mise en scène du texte de Mauricio Kagel

Pour créer sa pièce, Torsten Fischer s’est emparé du texte du compositeur Mauricio Kagel, Der Tribun (Le Tribun en français). Écrit en 1978, ce monologue s’inscrit aussi bien dans son époque que dans la nôtre, faisant ressortir des sujets politiques virulents et actuels, tels que le régime autoritaire présent au Brésil. En s’accaparant le discours politique, Kagel met en lumière la façon dont un homme politique a la possibilité de s’approprier le langage, de détourner les phrases pour les mettre à son avantage. Grâce à cette subtilité de la parole, une audience voire un peuple entier peuvent être manipulés. 

Torsten Fischer a fait le choix singulier dans sa mise en scène de ne pas présenter le discours officiel mais sa préparation. Le public devient ainsi voyeur et témoin d’un événement auquel il n’aurait normalement pas accès. Pris en flagrant délit dans sa chambre, le politique se dévoile véritablement : saoul, dévêtu, sans plus de barrières. Il n’est pas encore l’homme qui se présentera à son peuple d’ici une heure, mais l’homme empli de rage et d’amertume. Ce choix permet de mettre en exergue l’hypocrisie de la politique et des politiciens puisque grâce à lui, on découvre l’envers du décor. 

Dérision et terreur

L’un des points forts de la pièce est ce mélange entre dérision et terreur. Grâce au jeu de Dominique Horwitz, notre coeur balance continuellement entre différents sentiments. Par moments, l’absurdité de la situation est telle qu’il devient difficile de prendre au sérieux cet homme aux gestes grotesques, qui se croit au-dessus de tout et de tout le monde et qui se prend à son propre jeu. Le voir en train de proclamer de telles paroles en slip, une double paire de lunettes (de vue et de soleil) sur le nez et du rouge sur les lèvres, le rapproche du ridicule.

Au contraire, il arrive que la terreur nous gagne face à cette personne qui ne semble avoir aucune limite, à la folie meurtrière incommensurable. Dominique Horwitz sait nous faire peur dans les moments où la raison quitte ses yeux, où ses cris de haine prennent le dessus pour nous ensevelir. Grâce aux lumières et aux jeux d’ombre, son corps devient menaçant et immense, sa monstruosité ressort dans sa gestuelle et ses expressions. 

Mots et musique ne font qu’un

Aux mots, à leur sonorité se joint une partition musicale (composée par Mauricio Kagel) mêlant une fanfare et des applaudissements toujours plus virulents. Cette musique galvanise le politicien qui se croit au centre de l’attention et de la puissance. La fausse “foule” supporte son discours aux moments opportuns, le rendant encore plus convaincant. Manipulation par les mots, manipulation par les sons, tout est construit pour qu’il soit tout puissant ! 

Der Tribun est un seul en scène qui dévoile le pouvoir du langage. Une pièce à découvrir durant le Kunstfest Weimar jusqu’au 11 septembre. Plus d’informations ici

Visuel : ©Affiche

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Lucine Bastard-Rosset
Après avoir étudié et pratiqué la danse et le théâtre au lycée, Lucine a réalisé une licence de cinéma à la Sorbonne. Elle s'est tournée vers le journalisme culturel en début d'année 2022. Elle écrit à la fois sur le théâtre, la musique, le cinéma, la danse et les expositions. Contact : [email protected] Actuellement, Lucine réalise un service civique auprès de la compagnie de danse KeatBeck à Paris. Son objectif : transmettre l'art à un public large et varié.

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