Théâtre
Gros plan sur Christine, la cuisinière de Mademoiselle Julie

Gros plan sur Christine, la cuisinière de Mademoiselle Julie

24 July 2011 | PAR Christophe Candoni

Le festival d’Avignon se termine sur une aventure à la fois originale et stimulante qui a vu le jour en 2010 à la Schaubühne de Berlin et se donne pour quelques dates à la scène nationale de Cavaillon. Il s’agit d’une adaptation libre et subjective de la pièce de Strindberg Mademoiselle Julie que signe la metteuse en scène Katie Mitchell associée au vidéaste Léo Warmer. Le spectacle s’intitule « Kristin, nach Fraülein Julie » car il repose sur un choix dramaturgique fort, celui du déplacement, du changement de focalisation. L’histoire bien connue de la lutte des classes et des sexes entre le personnage éponyme et son valet Jean est vue par le regard de Christine, ordinairement secondaire et peu considérée, tout d’un coup mise en lumière dans un exercice de style absolument passionnant.

Une maison toute entière est installée sur le vaste plateau avec ses pièces en enfilades, de l’entrée de la propriété à la chambre en passant par la salle à manger. A l’intérieur de ce bel espace, cossu et élégant, des caméras sont disséminées un peu partout, utilisées à vue par un ballet de techniciens habillés en noir mêlés aux acteurs (ils sont 9 sur scène tous en action). On assiste au tournage d’un film en direct, celui de Mademoiselle Julie. Un écran vidéo surplombe la scène et rend compte de ce qui se joue en dessous. Tout est réalisé à vue, les images, les bruitages à partir d’une table sonorisée, la musique sensible et mélancolique interprétée au violoncelle. Trois actrices campent Christine dédoublée. Cela facilite l’enchaînement rapide des plans et permet d’alterner plans serrés et plans larges. Deux sont devant la caméra une troisième prend en charge le texte, en off, dans une cabine d’enregistrement, comme une voix intérieure, introspective du personnage.

Condamnée au retrait et au mutisme dans la pièce de Strindberg, Christine est une femme solide, pieuse et stable, qui ne fait pas de vague et dont les états d’âmes semblent n’intéresser personne. Elle se trouve aux antipodes de Julie, fille à papa, argentée et délurée, finement aguicheuse. Katie Mitchell prend le contrepoint et fait de ce personnage le centre de son spectacle. Grâce à la technique cinématographique et au gros plan, elle la suit dans la cuisine en train de préparer les rognons pour son fiancé avec qui elle partage une vie affective distante et taciturne. A table, il freine sèchement un geste qu’elle esquisse comme une humble demande de tendresse. La caméra vient saisir son émotion contenue et inexprimée en public. Alors qu’on la croit endormie pendant la fête de la Saint-Jean, elle rôde, guette, épie aux portes et aux fenêtres de la sombre maison, isolée dans sa solitude douloureuse. La caméra dévoile ses crises d’angoisse et de larmes alors que l’intrigue principale se joue hors-champs.

Le dispositif prend inévitablement beaucoup de place mais les formidables acteurs de la troupe de la Schaubühne (Jule Böwe, Tilman Strauss, Luise Wolfram) tirent toujours leur épingle du jeu avec finesse, intelligence et sensibilité, véritablement engagés à saisir sans effet superflu la vérité de leur personnage. Ce travail est inventif, minutieux, d’une précision et d’une fluidité époustouflantes. Une performance inédite et admirablement mise en œuvre.

 

Premier bilan du 65e festival d’Avignon
Sortie Dvd : Route Irish, de Ken Loach
Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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