Théâtre
[FMTM IN] Solitude contemplative: “Solace”, la marionnette selon Uta Gebert

[FMTM IN] Solitude contemplative: “Solace”, la marionnette selon Uta Gebert

30 September 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Lors de cette 20e édition du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières, la programmation IN accueillait Solace, le dernier spectacle de l’allemande Uta Gebert (cie Numen), après son passage à la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette (BIAM). Solace est à la marionnette ce que le but? est à la danse: un condensé d’infini dans le geste mesuré, un voyage contemplatif et introspectif guidé par l’artiste, un art qui fait du sublime avec le dépouillement et la lenteur. Solo de marionnette dans un écrin sombre, Solace est une oeuvre très singulière, sans doute clivante, mais hypnotique si l’on se laisse gagner par la proposition.

Un art de la simplicité et de la précision

Ce qui frappe immédiatement dans Solace tel qu’Uta Gebert l’a voulu, c’est la sobriété apparente de la proposition.

Sur la scène éclairée par des lumières dont la clarté mesurée permet à peine de distinguer les contours des objets, on peut constater la présence d’une étendue de sable à l’avant-scène. Des voiles noirs tombent quelques mètres derrière, ce qui laisse une aire de jeu assez réduite devant le public. Le plateau ne porte quasiment aucun élément de scénographie: une branche d’arbre aux formes torturée, un billot de bois, et c’est presque tout.

Evidemment, aussi, il y a la marionnette, et le dépouillement de son environnement ne la met que mieux en valeur. Comme toutes les marionnettes d’Uta Gebert, elle a une présence immédiate, qui tient à son animation bien sûr, mais également à son allure presque réaliste, qui laisse subsister ce qu’il faut de suggestion d’étrangeté pour la rendre vraiment troublante.

De la stature d’un enfant de 10 ans, elle est recouverte de vêtements contemporain dont un sweat-capuche qui laisse  le visage dans l’ombre. Une fois dévoilés, ce sont ses traits qui auront le mieux le pouvoir d’hypnotiser le spectateur: peau blanche de porcelaine, grands yeux bleu clair perpétuellement ébahis, la bouche entrouverte surprise dans un cri ou dans l’expression de la plus totale surprise. Un visage qui ne s’oublie pas, un visage qui intrigue et qui porte la marque d’un drame, d’un accident, de quelque chose qu’un enfant ne sait pas recevoir autrement qu’en plein coeur.

Derrière la marionnette, Uta Gebert manipule vêtue et cagoulée de noir. On peut la perdre de vue des minutes entières repliée qu’elle est au sein des ombres, et la marionnette semble alors se mouvoir d’elle-même, par quelque mécanisme secret.

La trame visuelle d’un conte symboliste

L’écriture de cette pièce tient toute entière à l’accumulation de signes peu discernables et peu explicites, qui demandent un effort soutenu d’attention, en même temps qu’ils sont employés dans un nombre réduit, et présentés sur scène jusqu’à épuiser leur propre présence.

C’est ainsi que si la marionnette de l’enfant reste plutôt en pleine lumière, d’inquiétantes présences apparaissent et se meuvent dans l’obscurité qui mange la scène dès que le regard glisse vers le lointain. De grandes silhouettes surgissent, plus grandes que des humains, ou d’étranges créatures humanoïdes dansent entre les voiles. La marionnettiste elle-même, ombre parmi les ombres, qui glisse sans bruit et sans gestes brusques dans l’espace indéterminé entre la lumière et l’obscurité, entre la marionnette et les fantômes, devient un élément de l’univers menaçant qui rôde à l’arrière-plan.

Les signes donnés dans le cercle revélé par la lumière ne sont pas beaucoup plus clairs: pour être visibles, ils n’en sont pas moins cryptiques. Enfant qui vole, veste de fourrure et masque de bête, tout est chargé d’intensité par la lenteur de la monstration, mais rien ne fait immédaitement sens.

C’est qu’Uta Gebert peint ici une toile symboliste, qui compose lentement un paysage intérieur plutôt qu’elle ne construit un sens. Face à une telle proposition, et passé un certain désarroi, on ne peut que se résigner à accompagner les images et les mouvements, ce qui ouvre la possibilité de recevoir la trame émotionnelle bâtie sur scène. Cette proposition est faite d’obscurité, de solitude, de silence, de volonté muette et obstinée de retrouver le mouvement, de sortir. Comme obstacles: l’angoisse, la présence d’images intérieures menançantes sorties du souvenir ou de l’inconscient. Avec, à la clé, la possibilité de retrouver sa propre force de vie, de devenir autre, différent, plus fort, en accueillant l’instinct ancestral de la préservation de soi.

En lisant les intentions de la metteuse en scène, on se dit que son geste artistique est magistralement réussi. Pour peu que l’on se rende disponible aux subtiles suggestions qu’elle instille sur scène, on arrive à traverser des états émotionnels très proches de ce que voulait l’artiste. En effet, Uta Gebert souhaitait faire une pièce qui rendait sensible la solitude et le processus de la consolation. On peut dire qu’elle a su les peindre avec presque rien, dans une économie de moyens extraordinaire.

La manipulation, l’épuisement et la présence

Pour ne pas briser l’état de fascination hypnotique du spectateur, et proposer une forme cohérente avec la lenteur du processus de révélation des clés du spectale, la marionnettiste choisit de n’imprimer le mouvement que de manière parcimonieuse. Même quand la marionnette vole, c’est sous la forme d’une marche lente au travers des airs. Même quand elle semble se défendre contre un ennemi invisible avec un baton, c’est en faisant de lents moulinets devant elle.

Il ne faudrait pas croire que lenteur soit synonyme de facilité: au contraire, il semble bien que les geste n’en sont que plus faciles à décomposer pour le public, et qu’ils apparaîtraient plus facilement maladroits à ses yeux attentifs. La manipulation exige ici une précision et une concentration totale, si l’illusion doit continuer d’opérer. Et, certainement, même si la marionnette est un symbole au même titre que tous les objets mis en scène, il est plus facile pour le spectateur de ressentir les émotions proposées s’il se figure qu’il voit un enfant perdu seul au milieu d’un désert.

Uta Gebert choisit d’étirer chaque geste jusqu’à son maximum. Toujours dans une relative lenteur, qui n’exclut en rien la fluidité, comme une danse lente n’est pas synonyme de lourdeur, les gestes sont souvent répétés en boucle, jusqu’à agacer la patience. Les stations immobiles se prolongent souvent au-delà de ce à quoi on se serait attendu, et la marionnette retrouve alors sa valeur d’objet mort, mais saisissant puisqu’avec son visage d’enfant pâle elle fait alors penser à un cadavre.

Tout tient, en réalité, à l’extraordinaire pouvoir d’incarnation qui se condense à l’endroit de ce personnage. Par la grâce d’une facture plastique très fine et d’une manipulation chargée de puissance du fait même de son inépuisable lenteur, la marionnette reste le centre autour duquel tout les autres signes gravitent, et même les présences les plus inquiétantes se dessinant derrière les voiles au fond de la scène ne réussissent jamais à lui voler complètement l’attention des spectateurs.

C’est une oeuvre tout-à-fait fascinante à laquelle on assiste, construite sur une qualité de présence époustouflante, et sur une écriture visuelle qui ouvre très grand la porte à toutes les dérives de l’imagination.

Un spectacle qui fait délibérément le choix de la lenteur et du presque imperceptible, là où d’autres rivalisent d’effets spéciaux et d’armées de manipulateurs bondissants et rugissants.

Une leçon d’humilité: la poésie naît de la rencontre de peu et d’une imagination généreuse, à condition d’avoir été préparée par un travail minutieux qui s’est attardé sur chaque détail jusqu’à atteindre la perfection formelle.

Un beau tour de force, qui charmera ceux qui arriveront à embarquer dans cette majestueuse traversée des ombres en compagnie d’Uta Gebert.

 

Distribution

Concept, mise en scène, marionnettes, décor : C.U. Gebert ; Interprétation : C.U. Gebert, Marine Chesnais ou Laura Siegmund ; Musique : Hahn Rowe ; Lumière : Jérôme Houlès, C.U. Gebert ; Conseil à la dramaturgie : Meriam Bousselmi, Geeske Otten, Ruth Mariën ; Costumes : Sonia Albartus, C.U. Gebert ; Participation artistique : Gabriel Hermand-Priquet, Ursula Gebert ; Assistant production, communication : Sophie Galibert ; Soutien artistique et organisationnel : Kathrin Rachow ; Silvia Brendenal ; Lumière et musique en tournée : Jérôme Houlès, Paul Friedrich ; Photo : C.U. Gebert

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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