Théâtre
<em>Du fond des gorges</em>, exploration foutraque du langage à la Bastille

Du fond des gorges, exploration foutraque du langage à la Bastille

22 March 2012 | PAR Amelie Blaustein Niddam

C’est à un spectacle hilarant autant qu’époustouflant que nous convie la bande de Pierre Meunier. “Du fond des gorges” interroge dans une course effrénée appelant le souffle , l’incarnation de la parole. Toujours des mots, rien que des mots, qui partent sans cesse de nos entrailles physiques, culturelles et historiques pour livrer une pièce plastique et clownesque tout à fait formidable.

“Ce qui se joue dans Du fond des gorges est la pneumatisation de l’être requise pour accéder à la parole”. Le ton est donné par Pierre Meunier qui a fait des armes chez Fratellini, plus tard, on l’aura retrouvé chez Pommerat (notamment dans Au Monde ou Pinocchio) en compagnie notamment de Pierre Yves Chapalain. Le metteur en scène invite aussi sur la scène François Chattot. Ils sont trois, sorte de réincarnation des Max Brothers aux visages et aux attitudes changeant plus rapidement que l’on remplace une roue de voiture, un quatrième s’invite à la fête, silencieux lui, Fredéric Kunze. Tous évoluent dans un décor pouvant être celui d’un cimetière de voitures ou un décor de la saison 1 de Startreck. Des ressorts s’entrechoquent pendant l’entrée du public, un claquement de métal dessus leur fait sonner les onomatopées de Comic Strip de BB. Une vingtaine d’énormes bouées noires et deux roues de camions envahissent le plateau. Le personnage muet déplace, range dans une réinvention permanente de l’espace. Voilà pour le décor.

Il y a un sentiment archaïque là-dedans. Pour commencer Meunier nous fait écouter le silence, pas n’importe lequel, le sien. Puis, viendra un mythe fondateur, celui d’Achille. Tient, Achille, au tendon qui tient l’homme et qui, quand il se casse, nous rend si fragiles. Dans la rondeur de ces masses caoutchouteuse, c’est la cosmogonie qui est interrogée, reprenant une notion d’infini bien impropre à notre civilisation monothéiste. Ici tout est cercle et recommencement. Dans ce tourbillon, la bande des quatre joue et raconte des histoires en apparence sans lien mais qui viennent toutes interroger la folie permanente qu’ont les hommes à interroger les mots. Comme il est dit sur scène on “pénètre dans quelque chose d’irracontable”, bien symbolisé par un dialogue ubuesque : “comment dit-on parole en japonais ?”, à l’autre de réfléchir, trouvant la réponse difficile, il finit par dire : “kotoba”, et au demandeur de redemander : et cela veut dire quoi ?

Rechercher le sens des mots, c’est aussi savoir les mettre “dans le bon sens” à l’image d’une scène d’anthologie, mettant un chef d’entreprise dictatorial mourant et bavant sur une estrade en équilibre très mouvant sur des piles de pneus. Comme régénéré, il s’agrippe à un micro expliquant qu’en temps de crise, les courbes qui s’effondrent sont un honneur. Mais oui ! En se penchant, elles nous font la révérence !

Tout est question de point de vue. La parole est le propre de l’homme, autant que le rire. Peux-ton décider d’oublier les mots, de les vomir un par un pour retrouver le cri originel et repartir au départ ? La troupe attaque la parole fragmentée et biaisée, pour arme ils choisissent le cirque. Cela donne un spectacle rafraichissant et étonnant aux multiples sources d’analyse, comme peut l’être le langage. L’ensemble, et le mot n’est pas vain, est ici éclairé par un travail de lumière ne ménageant pas les bedaines des comédiens. On ne cache rien, on vous montre tout ! C’est rare, c’est physique : un spectacle sur le verbe qui n’est pas verbeux !

visuel : (c) : Jean-Pierre Estoumet

Pauline Bureau fait de la Meilleure part des hommes une vaste fresque théâtrale
Air Bag One : le nouveau trio de la scène française indé
Avatar photo
Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration