Théâtre
Dogs of Europe, un spectacle du Belarus Free Theatre à l’Odéon Ateliers Berthier

Dogs of Europe, un spectacle du Belarus Free Theatre à l’Odéon Ateliers Berthier

12 December 2022 | PAR David Rofé-Sarfati

Natalia Kaliada et  co-fondatrice et co-directrice artistique, avec son mari Nicolai Khalezin, du Belarus Free Theatre, un théâtre underground qu’ils ont créé en réponse à la censure et répression du régime d’Alexander Lukashenko présentent, à l’Odéon Ateliers Berthier une pièce cruellement prémonitoire. Aujourd’hui forcés à l’exil au Royaume-Uni, ils créent Dogs of Europe d’après Alhierd Bacharevic.

Le perfect match

Nicolai Khalezin s’explique : “Aujourd’hui, le théâtre mondial tente de trouver le perfect match – l’alliance idéale de l’artistique et de l’actualité. C’est une exigence du spectateur, gâté par le flot de films et d’émissions de télévision pour tous les goûts… Le spectateur veut voir une pièce sur lui-même aujourd’hui, vivant dans un monde en constante évolution, mais il veut aussi que l’histoire, qui lui est racontée, soit d’un très haut niveau artistique. Malheureusement, il n’y a pas beaucoup de théâtres dans le monde qui peuvent maintenir cet équilibre complexe.”  (Propos recueillis par Mélanie Drouère pour le Festival d’Automne à Paris, juin 2022) Constatons qu’il a réussi à le faire avec Dogs of Europe, une pièce si contemporaine, si perfect match et de si haute qualité artistique. 

Une dystopie si proche 

Censurée dans son pays, la pièce Dogs of Europe (Les Chiens d’Europe), inspirée d’un roman d’Alhierd Bacharevic – lui aussi interdit par l’État biélorusse – nous fait traverser un drame viscéral et psychologique dépeignant un super-État dystopique dans lequel tous les droits individuels sont sous contrôle.

Dogs est le récit dystopique situé au sein d’une dictature (on pense à Poutine autant qu’à Loukachenko) réduisant tous les droits individuels. En 2049, un homme en cavale, fuyant une accusation de meurtre, mène sa propre enquête. Son extravagante odyssée le mène des dernières librairies d’Europe jusqu’en Biélorussie et Russie, anciennes républiques désormais confondues en un seul territoire européen sous l’autorité d’un service secret. 

Une forme inattendue

Tour à tour conte de fées excentrique, thriller politique, épopée futuriste et plateau de témoignages de guerre, Dogs of Europe en dit autant dans les espaces liminaux que sur scène. Le travail théâtral des quatorze interprètes, d’une physicalité extrême, s’attache à faire émerger les origines du régime, mais aussi le rôle de la création, en un geste artistique poignant qui accuse les dangers du déni face aux autoritarismes montants. On découvre comment le communisme aura transformé et transforme encore les peuples en des esclaves paranoïaques gouvernés et asservis par une Nomenklatura très privilégiée.

L’intrigue est là, captivante cependant que la première expérience du spectateur se constitue à partir d’une écriture dramatique et scénique inattendue et innovante. La pièce ressemble à une comédie-ballet mixant le jeu, la danse, la chanson, la musique, le cirque, la performance, le théâtre d’objet, le mime, la vidéo, le dessin animé au sein d’un univers slave où l’homme n’est qu’un minuscule animal socialisé dérobant quelques plaisirs éphémères à la misère et à la mort. Un Broadway d’Europe de l’Est où les êtres surnagent dans un bain de traumatismes grâce à une vitalité plus proche du pulsionnel que de l’élaboration savante. Tous campent des personnes authentiques dont la spontanéité se nourrit de l’urgence ; un des personnages écrit comme il pisse. 

Les tableaux se succèdent, avec toujours émerveillement et éblouissement construits par les talents multiples de la troupe. Les trois heures passent trop vite en regard de la musique envoûtante, des chansons percutantes et d’une inhérente poésie ponctuée de nombreux moments de grâce tels entre autres une scène façon opéra d’autodafé ou une scène surréaliste de cunnilingus. 

Du théâtre venu d’ailleurs, étrange, étranger, exubérant, inhabituel et magnifique. 

Un théâtre très applaudi qui rappelle ce que l’actualité sombre doit à la dictature fasciste de Poutine, héritière autant du communisme que du nazisme : Là où on brule des livres, on finit aussi par brûler des hommes. Une fois encore la maison de Stéphane Braunschweig est le lieu de la solidarité avec le peuple ukrainien. 

 

 

Dogs of Europe d’après le roman d’Alhierd Bacharevi

un spectacle du Belarus Free Theatre

mise en scène Nicolai Khalezin, Natalia Kaliada première en France avec le Festival d’Automne à Paris en bélarusse, surtitré en français durée 3h avec entracte 9 – 15 décembre Berthier 17e

Crédit © Linda Nylind

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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