Der Weibsteufel à l’Odéon, la star Birgit Minichmayr est le diable fait femme mis en scène par Martin Kusej
Dans Der Weibsteufel, l’actrice Birgit Minichmayr irradie au centre d’un triangle amoureux plus proche du thriller psychologique glaçant façon Strindberg que du vaudeville à la Feydeau. Elle mène une danse de mort que le metteur en scène autrichien Martin Kusej plonge dans une forêt apocalyptique où se jouent, au cœur de massifs troncs d’arbres coupés, les inévitables affrontements et revirements d’un jeu de manipulation saisissant. Créé en 2008 au Burgtheater de Vienne, auréolé de distinctions prestigieuses, et entré au répertoire du Residenztheater de Munich duquel Kusej est le nouveau directeur artistique, le spectacle est en ce moment à l’affiche du théâtre de l’Odéon.
Sur le plateau, un couple, plutôt distant. Une femme affectée par l’absence d’enfant dans le ménage et un homme qui vit de la contrebande de marchandises pour s’offrir une belle maison. Un jeune douanier enquête sur les agissements douteux du mari qui, pour faire capoter la mission, pousse aveuglément sa femme dans ses bras sans se rendre compte qu’elle pourrait lui échapper. Karl Schönherr fut au début du XXe siècle l’auteur à succès de Der Weibsteufel mais aussi une personnalité contestable idéologiquement, raison pour laquelle il est tombé dans la désuétude et l’oubli après les deux guerres mondiales. Ecrite en 1914, sa pièce a été considérée comme un chef d’œuvre, mais passe aujourd’hui pour datée, notamment à cause de sa vision ancestrale de la femme dans ses relations avec les hommes. Et si le texte passionne peu, la mise en scène que signe Martin Kusej lui donne un regain d’intérêt, une profondeur et une intensité implacables, axant sa lecture sur la prise de pouvoir de la femme qu’on croyait soumise aux petites combines masculines et qui se révèle magistralement habile à contrecarrer un plan trop bien établi en menant à leur perte les deux hommes, alliés et concurrents dans leur désir de tirer profit d’elle pour préserver leurs intérêts.
Modèle de rigueur et de précision, la mise en scène de Martin Kusej bénéficie de grands atouts et d’abord d’une très belle scénographie. Martin Zehetgruber propose l’espace abrupte et vertigineux d’une sombre forêt, lieu immémorial et cauchemardesque qui catalyse aussi bien les peurs, les fantasmes, les affects et les instincts des personnages présentés comme des bêtes sauvages à la fois féroces et craintives, meurtries et combatives.
Les comédiens évoluent sur ce cimetière de rondins de bois morts éclairés aux néons avec une parfaite maîtrise. Leur interprétation est sans faille et haute en tension bien que d’une retenue troublante. Werner Wölbern est le mari à la fois faible et robuste, Tobias Moretti fait un sombre et séduisant chasseur, et Birgit Minichmayr, la silhouette frêle dans une robe d’été claire, la voix rocailleuse, elle fait le chaud et le froid en se montrant tour à tour sage et naïve, séductrice rusée, ardente, énigmatique, imprévisible, dangereuse. Une femme diablesse éprise de liberté. Ces trois acteurs, parfaitement dirigés, sont magnifiques.