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Exposition : Comment la peinture se réinvente-t-elle dans un monde digitalisé ?

Exposition : Comment la peinture se réinvente-t-elle dans un monde digitalisé ?

30 April 2022 | PAR Magali Sautreuil

Omniprésents dans nos vies quotidiennes, le numérique et les nouvelles technologies le sont aussi dans les domaines de la création. Bouleversant les pratiques, les individus et notre perception du monde, ils invitent à nous réinventer ou à entrer en résistance comme le montre l’exposition Peinture : obsolescence déprogrammée. Licences libres, qui se déroule jusqu’au 8 mai 2022, au musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun.

Aux origines de l’exposition

Ces bouleversements ne datent pas d’hier, mais s’accentuent depuis le XIXe siècle, tout comme le rythme de nos sociétés. Les innovations technologiques se multiplient et le digital facilite la création de contenus par tout un chacun. 

Cette digitalisation de notre monde n’a cependant pas entraîné la disparition de pratiques plus ancestrales. Souvent annoncée, la mort de la peinture n’a pas eu lieu. Au contraire, poussée dans ses retranchements, elle s’est repensée et réinventée dans un monde numérisé, oscillant entre critique, résistance, fascination et imitation.

Cette relation complexe entre la peinture et le numérique a donné lieu à un cycle de réflexions et d’expositions, initié en 2017 par Camille Debrabant, docteure en histoire de l’art et enseignante en histoire et théorie de l’art contemporain à l’ESAD TALM-Angers et à l’ENSA de Nancy. 

Face à un corpus pléthorique immense d’artistes et de créations contemporaines, deux journées de colloque ont d’abord été organisées pour fédérer autour du projet de cycle d’expositions une communauté d’acteurs de la recherche et de l’enseignement.

La première exposition a eu lieu au musée d’art moderne et contemporain des Sables-d’Olonne, du 17 octobre 2021 au 16 janvier 2022. Peinture : obsolescence déprogrammée. La peinture dans l’environnement numérique visait à réaliser un état des lieux de la relation entre la peinture et le numérique de 1955 à nos jours.

La deuxième exposition se déroule en ce moment et jusqu’au 8 mai 2022, au musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun. Peinture : obsolescence déprogrammée. Licences libres pose cette fois-ci la question de l’appropriation, de la pratique libre, de la transgression et du concept d’authenticité des œuvres face au flux d’images numériques. 

Licences Libres, une exposition développée autour de quatre axes 

Pour nourrir la réflexion du visiteur, les œuvres d’artistes contemporains réalisées durant ces trente dernière années ont enfin été réparties dans quatre salles en enfilade aux murs maculés de blanc.  

Les deux premières pièces nous montrent comment certains peintres se sont appropriés les outils numériques pour les intégrer dans leurs œuvres ou/et leur processus créatif. 

Certains artistes s’intéressent à la matérialité du numérique, tout comme certains peintres cherchent à retranscrire leur environnement. 

Untitled (Green screen), une composition numérique peinte à la main en 2014 par Jeff Elrod et structurée avec du scotch de masquage, nous renvoie par exemple aux écrans verts de l’industrie cinématographique, qui permet d’incruster des effets spéciaux et des acteurs dans n’importe quel fond numérisé.

Pour l’instant, un tableau réalisé en 2009 par Rémy Hysbergue, nous rappelle, quant à lui, le métal liquide utilisé comme système de refroidissement alternatif à la pâte thermique composant les ordinateurs, dont il critique, en filigrane, l’obsolescence. Ce métal est matérialisé par le miroir à l’arrière-plan, miroir qui est aussi une allusion aux critiques de l’art abstrait qui considèrent cette forme d’expression artistique comme un acte narcissique. 

Le trio belge LAb[au], en partenariat avec l’école supérieure d’art et de design d’Angers, et le duo d’artistes brésiliens, Angela Detanico et Rafael Lain, ont plutôt été fascinés par le codage du langage, qui peut faire écho au numérique, comme s’en détacher complètement. Avec leur série 27 rue de Fleurus initiée en 2017, les Brésiliens nous plongent en réalité non pas dans une séquence informatique, mais dans la poésie cubique de Gertrude Stein, puisque chaque élément coloré de leurs compositions renvoie à une lettre de l’alphabet Cubica. Le transcodage utilisé par les Belges s’inscrit dans la même démarche, puisqu’il associe le langage, un alphabet sémaphore à partir des couleurs du drapeau belge, aux techniques de l’origami et de la tapisserie Jacquard, avec parfois des éléments motorisés. 

Par contre, The swamp invaders, une toile réalisée en 2021 Amélie Bertrand, la plus jeune artiste de l’exposition, retranscrit parfaitement cette hybridation des techniques et renvoie à un univers à la fois vidéoludique et pictural. Pour l’artiste, le numérique a été un moyen de faire évoluer sa peinture pour lui permettre de répondre aux multiples sollicitations qu’elle recevait. Il l’aide à composer ses œuvres. Pour gagner du temps, l’artiste utilise une découpeuse laser pour réaliser des pochoirs à échelle. Elle souligne quelques éléments avec du scotch de masquage, puis se livre à un travail minutieux de coloriste au pinceau. Elle parvient ainsi à déployer une impressionnante palette de couleurs, dont les nuances démontrent une réelle sensibilité. Le numérique n’est ainsi qu’un outil au service de la peinture. 

L’ensemble de neuf toiles qui composent l’œuvre Mimési.06 nous livre en revanche un message plus critique du numérique. L’artiste italien Flavio de Marco à l’origine de ce montage repeint et actualise ces panneaux peints selon le lieu dans lequel il expose. Il dénonce ainsi l’intermédiation des écrans dans nos vies qui nous donne une vision morcelée, superficielle, voire déformée de la réalité. D’ailleurs, cette immense maquette de 263 cm de haut par 440 cm de large s’apparente à un écran d’ordinateur avec ces multiples fenêtres ouvertes, sa barre de téléchargement…  

Un regard critique partagé par Jonas Lund, avec VIP (Viewer improved painting). Les caméras de suivi associées à un programme informatique génèrent des peintures abstraites sur les deux écrans accrochés au mur. Le visiteur peut ainsi avoir l’impression d’influer sur l’art, tout comme la publicité ciblée et la traque commerciale peuvent lui donner l’illusion du libre-arbitre.  

D’ailleurs, dans la salle numéro 3, il est justement question de l’appropriation sauvage de toutes sortes de choses par le numérique. Les données collectées peuvent parfois violer l’intimité des personnes, d’où l’importance de la thématique de la sexualité dans ce lieu, traitée de façon plus ou moins explicite. 

La série des Food Porn Paintings imaginée en 1990 par Marilyn Minter renvoie à une tendance contemporaine, notamment des instagramers, qui photographient leur nourriture. Mais les plaques émaillées de l’artiste sont en revanche bien moins innocentes. Le focus sur des mains féminines aux ongles vernis affairées à des préparations culinaires dans une mise en scène dégoulinantes est quelque peu gênant et obscène, tout comme la pornographie évoquée dans le titre de l’œuvre rend la scène obscène.

Cet aspect dérangeant du porno est quelque peu effacé par le traitement pictural de l’artiste Philippe Hurteau, que ce soit avec son XTZ 2 crypté au format 16/9e ou son Studio 9 (Suzanne), qui nous laisse entrevoir des morceaux de nus, sans trop en dévoiler. 

Cette séquence voyeuriste de l’exposition est contrebalancée par l’espace plutôt intimiste dans lequel elle se trouve, ainsi que par la série Viral attaque de Joseph Nechvatal. L’artiste a enfin numérisé l’ensemble de ses peintures qu’il a volontairement soumis à un virus informatique. Ce dernier détruit petit à petit les formes et les couleurs des tableaux comme si le peintre avait voulu revenir à un état zéro de sa peinture en effaçant tout son historique.  

Dans la quatrième et dernière salle, les artistes ont développé des stratégies de résistance singulières face au flux et à l’image numérique.

De prime abord, le diptyque de Sylvie Fanchon, (jesuisicipourvousaider), est assez minimaliste. Le fond est entièrement peint en bleu, une couleur plutôt apaisante, que viennent troubler quelques bribes de phrases rouges. Le trouble ainsi créé renvoie aux injonctions intempestives des assistants vocaux, qui violent notre intimité et volent nos données personnelles pour soi-disant nous aider à gagner du temps en nous concentrant sur ce qui est important.

Ce vol des données et cette mise sous surveillance sont aussi dénoncés par le Collectif 1.0.3 avec les planiscopes du Projet Misma. Sur un fond noir se détachent des courbes comme sur un relevé topographique. En nous approchant de plus près, nous pouvons distinguer des noms. Ces noms sont en réalité ceux des dossiers contenus dans des ordinateurs de particuliers, d’organismes publics et privés. La taille de la typographie est modulée selon le degré d’enfouissement dans le serveur. Ces planiscopes donnent ainsi à voir la structuration de la pensée selon les individus, tout en atténuant le côté voyeuriste puisque les données collectées sont au final peu visibles.

Ce qui n’est pas le cas avec Missing Collection (FaceApp) d’Édouard Boyer. Sous un aspect ludique de simulation de vieillissement, l’application russe FaceApp collectait les images des utilisateurs à leur insu pour les revendre à des fins publicitaires. Une galerie de portraits qui n’est donc pas si innocente que ça. 

Conseils de visite

Pour profiter pleinement de cette exposition, nous vous conseillons de suivre une visite commentée, qui facilitera la lecture des œuvres et des intentions originelles des artistes. Cela permettra aussi d’enrichir vos réflexions personnelles en les croisant avec celles des peintres.

Lors de votre venue, vous serez peut-être troublés par certaines ressemblances. Un indice : une partie des œuvres a été piratée par un des artistes. Saurez-vous le débusquer ?

Peinture : obsolescence déprogrammée. Licences libres, exposition du 12 février au 8 mai 2022, au musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun.

Retrouvez toute l’actualité du musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun sur son site Internet (ici).

Visuels : Affiche officielle et photos de Magali Sautreuil. 

Infos pratiques

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Magali Sautreuil
Formée à l'École du Louvre, j'éprouve un amour sans bornes pour le patrimoine culturel. Curieuse de nature et véritable "touche-à-tout", je suis une passionnée qui aimerait embrasser toutes les sphères de la connaissance et toutes les facettes de la Culture. Malgré mon hyperactivité, je n'aurais jamais assez d'une vie pour tout connaître, mais je souhaite néanmoins partager mes découvertes avec vous !

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