Boris Charmatz transpose son musée de la danse à Avignon
Étonnante, peut-être déroutante, mais au combien enrichissante, telle se présente l’exposition Jérôme Bel en 3sec. 30 sec. 3 min. 30 min. 3H.
Venir découvrir l’exposition Jérôme Bel à l’école d’Art, c’est aussi explorer un lieu, réfléchir à une idée, un concept. Le parcours commence par une photographie, dont 3 secondes suffisent pour en capter le sens : La source, prise par Jean-Luc Moulène. On y voit le danseur Frédéric Seguette, interprète du spectacle Jérôme Bel qui bave et urine en même temps. Ce moment clé de la pièce a été immortalisé en studio et pourtant c’est déjà de la danse.
Les 30 secondes suivantes sont dédiées à un texte, projeté sur un mur blanc. Il s’agit d’un extrait du roman Impressions d’Afrique de Raymond Roussel, dans lequel l’auteur évoque une danse provoquée par des hoquets, revue par Jérôme Bel. Dans ce lieu dénudé, d’une grande sobriété, vous voyez pourtant les danseurs, vous les imaginez. Un texte qui est pourtant de la danse.
3 minutes, c’est la durée de l’extrait du spectacle Show must go on. Il est présenté dans le bureau du directeur, totalement bordélique. On est proche du ready made! Ici une vingtaine de danseurs interprètent au sens propre les chansons, des rengaines qui ont connu un succès commercial important ces dix dernières années. (La Macarena, Let’s Dance…) Ici l’extrait retenu est I like to move it! et effectivement les danseurs interprètent le titre au pied de la lettre. 3 minutes de ce qu’on nomme une vidéo-danse, inutile de vous préciser, qu’évidemment c’est de la danse.
L’exposition se poursuit avec 30 minutes de pure beauté. Dans la bibliothèque de l’école, un film est projeté en continu. La danseuse de l’Opéra de Paris, Valérie Doisneau, 42 ans, danse pour la dernière fois à l’Opéra. Proche de la retraite elle revient sur les temps forts de sa carrière, ses préférences en matière de chorégraphes, les œuvres et les ballets qu’elles préfèrent danser. Un film émouvant où la grâce de la ballerine crève l’écran et nous transporte. Une fois de plus le support est inhabituel sans quitter le domaine de la danse.
3 heures, c’est le temps qu’il faut pour regarder et apprécier l’ensemble du catalogue raisonné. Il retrace l’œuvre de Jérôme Bel, notamment des entretiens où l’artiste revient sur ses créations de 1994 à 2005. Confortablement installé dans une loge, on parcourt le catalogue multimédia à notre guise, en naviguant entre les chapitres. Est-ce bien utile de préciser qu’ici aussi on nage dans la danse ?
Cinq étapes, cinq temporalités et cinq formats qui chacun à leur façon mettent à nu Jérôme Bel et révèlent sa conception de la danse. Oui, une photographie, un texte, une vidéo-danse, un film ou un catalogue raisonné sont aussi des formes de danse. Au delà de son intérêt propre, l’exposition nous dévoile le concept de musée de la danse. En accès libre, l’Ecole d’Art d’Avignon se met aussi à nu et ne cache rien aux visiteurs. Les couloirs, un bureau dérangé, une bibliothéque, le public arpente ce musée et devient par conséquent un élément lui aussi du musée.
Dans une précédente interview, Boris Charmatz nous parlait de ce projet de musée de la danse, un musée mouvant, vivant qui s’exporte. Après la visite de ce joli lieu, le concept fait sens et on espère qu’il pourra se développer.
Floriane Gilette et Amélie Blaustein-Niddam